La République Démocratique du Congo dans le monde multipolaire

De par sa position géographique, la RDC est au centre de toutes les convoitises

Le monde est en pleine mutation. Certes, l’éclatement de l’ex-URSS a mis fin à la guerre froide, mais après toutes ces années, la Russie a pu se reconstituer, entrainant, dans cet élan, l’émergence d’autres puissances comme la Chine. Désormais, face à l’Occident, le BRICS, ce bloc qui regroupe le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, travaille pour un monde multipolaire. Pays stratégique au cœur de l’Afrique, la République Démocratique du Congo est au centre de grands enjeux planétaires. Ses immenses ressources naturelles la met au centre de toutes les convoitises. A Kinshasa, on semble négliger cet aspect, oubliant que l’avenir de la RDC se joue ailleurs, loin de nos regards. Décryptage avec le politologue Freddy Mulumba Kabuayi.
Un nouveau monde est train de naître après la fin de l’unipolarité dominée par les américains. Faute de moyens financiers pour maintenir la présence militaire dans le monde, les Etats-Unis vont se retirer des espaces où ils n’ont pas d’intérêts vitaux pour se concentrer sur les régions où les intérêts géopolitiques sont nécessaires. Les espaces abandonnés seront occupées par les puissances émergentes telles que les BRICS d’une part et d’autre part les acteurs non étatiques comme les groupes islamistes, les globalistes et les multinationales… (Alfred W. McCoy, In The Shadows of the American Century, The Rise and Declineof Us Global Power, USA, 2017).
Avec ce déclin relatif de la puissance américaine dans le monde, la géopolitique du XXIème siècle se dessine autour de deux grandes puissances militaires et économiques rivales à savoir la Chine et les Etats-Unis d’Amérique d’une part, et d’autre part des puissances régionales. Cette nouvelle configuration du monde peut s’orienter vers une nouvelle guerre froide entre la Chine et les Usa dans un monde multipolaire. A cet égard, le Chancelier allemand Olaf Scholz s’interroge dans un article publié dans le magazine ForeignAffairs du mois de janvier/février 2023 sous le titre «Le Global Zeitenwende : Comment éviter une nouvelle guerre froide dans une ère multipolaire». Tout en réclamant sa nouvelle place dans cette nouvelle géopolitique en construction comme puissance, l’Allemagne privilégie la coopération avec la Chine à la place de la politique des blocs prônée par l’administration Joe Biden suite à la monté en puissance de l’Empire du Milieu.
«C’est pourquoi les Allemands entendent devenir le garant de la sécurité européenne que nos alliés attendent de nous, un bâtisseur de ponts au sein de l’Union européenne et un défenseur des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux. C’est le seul moyen pour l’Allemagne de naviguer avec succès dans les divisions géopolitiques de notre époque» [Divisions géopolitiques de notre époque, l’idée est lancer par une puissance du XXème siècle organisatrice de la conférence de Berlin (1884-1885) sur le partage de l’Afrique par 14 puissances de l’époque]. *

Afrique, un terrain d’affrontement
Dans ce nouveau monde qui est en train de se mettre en place, l’Afrique est restée la banlieue de l’affrontement entre des anciennes puissances et les émergentes. Sur le continent africain, nombreux pays ont installés leurs bases militaires soit disant pour défendre leurs intérêts : Usa, Chine, la Russie, la France, l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Turquie, les pays du golfe arabique, le Japon, l’Inde… Bref, 138 ans après la Conférence de Berlin de 1884-1885, le nouveau partage de l’Afrique a commencé sous le regard des élites africaines silencieuses, complices ou inconscientes.
Dans ce scénario du nouveau partage de l’Afrique, la RDC est au centre de compétition entre des puissances étatiques souverainistes et forces mondialistes-globalistes à travers les guerres d’usures dans les riches provinces de l’Est du Pays. Les puissances souverainistes tiennent au respect de l’intégrité du territoire congolais hérité de la colonisation comme le témoigne le Pape François. Lors de sa rencontre avec les Autorités congolaises, les représentants de la société civile et le Corps Diplomatique, Kinshasa, 31 janvier 2023, le Pape François s’oppose à la balkanisation de la RDC tant souhaitée par les globalistes mondialistes. «Vous, Congolais, vous luttez pour sauvegarder votre dignité et votre intégrité territoriale contre les méprisables tentatives de fragmentation du pays, je viens à vous, au nom de Jésus, comme un pèlerin de réconciliation et de paix. J’ai beaucoup désiré me trouver ici et je viens enfin vous apporter la proximité, l’affection et la consolation de toute l’Église catholique ».
Par contre les globalistes-mondialistes et néo-libéraux mènent un projet de l’implosion du Congo en commençant par l’annexion des provinces de l’Est de la RDC au Rwanda et Ouganda afin de créer un nouvel Etat dans les grands Lacs africains composé de l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya et le Soudan du Sud et le Burundi. Curieusement, ce projet coïncide avec la mise en place de la communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) dominée par les britanniques et les globalistes. Ici, il faut placer ce projet dans le cadre d’un monde plus régionalisé, voire localisé, qui est en train de prendre forme après que la mondialisation ait atteint son apogée et ait commencé à reculer. D’ailleurs dans ce monde post-néolibéral qui s’annonce, la production et la consommation seront plus étroitement liées au sein des pays et des régions. Bref, la mondialisation se transformera inévitablement en régionalisation et en localisation. (Rana Foroohar, Après le néoli-béralisme, Toute économie est locale, novembre/décembre 2022 ForeignAffairs).
Contrairement aux mondialistes globalistes néolibéraux défenseurs de la disparition des Etats-nations, le penseur américain Francis Fukuyama exhorte les libéraux de ne pas renoncer à l’idée de la nation. En vérité, écrit-il, rien ne rend l’universalisme du libéralisme incompatible avec un monde d’États-nations. (Francis Fukuyama, Li-beralism and ITS Discon-tents, Profile Books Ltd, London, 2022).
Dans cet environnement post-néolibéral et post-mondialisation, la RDC sous le leadership du Président Félix-AntoineTshisekedi retrouve sa place. «La RDC est le pays le plus important au monde parce qu’elle contribue à la transition énergétique », telle est la déclaration de monsieur Amos Hochstein, envoyé spécial du président américain Joe Biden et coordinateur des affaires énergétiques internationales dans une conférence de presse tenue à Kinshasa le 12 septembre 2022. On voit clairement que la RDC se retrouve dans le dispositif de la sécurité nationale américaine concrétisé par le projet de construction de l’usine de fabrication des batteries dans le cadre de coopération entre la Zambie et la RDC sur la sécurisation de la chaine d’approvisionnement sous le patronage des Etats-Unis d’Amérique.

Les deux préalables
Compte tenu de sa nouvelle position acquise grâce aux minerais stratégiques utiles à la transition énergétique et la révolution du numérique, si le Congo veut retrouver sa place en Afrique et dans le monde, deux préalables s’imposent. La première est l’émergence des nouvelles élites aminées de la volonté de puissance et l’esprit de grandeur pour leur pays. La qualité des élites d’une nation, note Michel J. Mazarr, joue un rôle essentiel dans la détermination de la légitimité de ses institutions gouvernementales. (Ce qui fait la grandeur d’une puissance, Michael J. Mazarr, ForeignAffairs, juillet/août 2022). Mais, le drame de la RDC est que la majorité des élites est composée de mercenaires corrompus aux services des puissances étrangères, des multinationales, du Rwanda et de l’Ouganda. Ce conglomérat d’aventuriers n’est pas à la hauteur des enjeux du 21ème siècle d’un monde multipolaire.
Quant au deuxième préalable, la réinvention un Etat moderne actif et de droit demeure une nécessité. Les élites congolaises doivent construire un Etat au service du peuple avec un gouvernement cohérent, puissant, orienté vers un objectif et efficace qui investit dans les capacités nationales et les qualités sociétales bénéfiques. C’est qui n’est pas le cas dans la situation actuelle du Congo où l’Etat s’est effondré avec la fin du régime Mobutu. (Crawfort Young et Thomas Turner, The Rise and Decline of the zairian State, The Unive-rsityof Wisconsin Press, USA, 1984).
En tout état de cause, sans les élites de qualités ayant des ambitions pour la grandeur du Congo capable d’imposer un leadership régional lui conférer par sa géographie et ses richesses et sans un Etat moderne capable de défendre l’intégrité territoriale, les intérêts congolais afin de donner l’espoir à la population, les chances pour la RDC de jouer un rôle de leader en Afrique sont hypothéqués. Mais, il y a une lueur d’espoir avec l’organisation des élections qui permettra de renouveler la classe politique qui sera à la hauteur des enjeux du 21ème siècle.
Freddy Mulumba Kabuayi
Politologue