Le secrétaire général de l’ONU prône un multilatéralisme «efficace» pour résoudre les conflits

Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a plaidé lundi en faveur d’un multilatéralisme «efficace » pour résoudre les conflits dans le monde et sauver les objectifs de développement durable (ODD).
À l’initiative de sa présidence russe, dont c’était le second événement phare ce mois d’avril, le Conseil de sécurité a tenu aujourd’hui un débat public consacré à «un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies». Alors que le Secrétaire général en a profité pour mettre en avant son rapport «Notre Programme commun», le Chef de la diplomatie russe a dressé un virulent réquisitoire contre les pays occidentaux, accusés de chercher à remplacer le droit international et la Charte par un prétendu «ordre fondé sur des règles» destiné à leur seul profit. Ces derniers ont répliqué en taxant la délégation russe d’hypocrisie, l’accusant de violer tous les principes de la Charte des Nations Unies par son invasion de l’Ukraine.
Dans sa note de cadrage, la présidence russe parlait d’une « transformation systémique » de l’ordre mondial à l’œuvre, marquée par le déclin rapide de l’ordre unipolaire et l’émergence d’un système multipolaire. Elle proposait comme piste de débat, entre autres, de s’interroger sur la manière dont des initiatives telles que Notre Programme commun et le Nouvel Agenda pour la paix pourraient contribuer à une évolution sans heurts vers un multilatéralisme plus efficace.
Le Secrétaire général a rappelé que ce multila-téralisme efficace, qui doit inclure un engagement à relever les défis nouveaux et émergents et à combler les lacunes de la gouvernance mondiale, est « la force motrice» de son rapport sur «Notre Programme commun». Il a plaidé pour un multilatéralisme plus inclusif et plus en réseau, offrant un espace pour les contributions de tous les pays et communautés ainsi que des liens solides entre la famille des Nations Unies, les institutions financières internationales, les organisations régionales ou encore les blocs commerciaux. Quant au projet de «nouvel agenda pour la paix», il offrira «une vision unificatrice ancrée dans la confiance, l’universalité et la solidarité» en traitant de tous les types de menaces, en adoptant une vision holistique de la paix et en mettant la priorité sur la prévention.

Réponse de Guterres
S’exprimant devant le Conseil de sécurité, le chef de l’ONU a souligné que des réponses multilatérales efficaces sont de toute urgence nécessaire pour prévenir et résoudre les conflits, gérer l’incertitude économique, sauver les ODD et relever les défis aux normes mondiales contre l’utilisation et la possession d’armes nucléaires.
«Les tensions entre les grandes puissances sont à un niveau historique. Il en va de même pour les risques de conflit, par mésaventure ou erreur de calcul», a-t-il déploré, ajoutant que le conflit en Ukraine a aggravé la «dislocation économique» mondiale déclenchée par la crise sanitaire née de la pandémie de Covid-19.
«Nous assistons à une aggravation de la crise climatique, à des inégalités croissantes, à une menace grandissante du terrorisme, à un recul mondial contre les droits humains et l’égalité des sexes, et au développement non réglementé de technologies dangereuses », a poursuivi le haut responsable onusien.
Il a affirmé que tous ces défis mondiaux ne peuvent être résolus que par le respect du droit international, l’adhésion aux engagements mondiaux et l’adoption de cadres appropriés de gouvernance multilatérale.
Dans ce cadre, M. Guterres a appelé les Etats membres à renouveler leur engagement en vertu des principes énoncés dans la Charte des Nations Unies.
«Les principes inscrits dans la Charte et renforcés dans la Déclaration sur les relations amicales et la coopération entre les États – respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de tous les États, non-ingérence dans les affaires des autres États, élimination de toutes les formes de la discrimination et le règlement pacifique des différends – sont des remparts contre l’incertitude et la fragmentation», a-t-il insisté.
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Il a en outre indiqué qu’une majorité des pays membres de l’ONU se rendent compte de la nécessité de réformer le Conseil de sécurité pour s’adapter à la réalité géopolitique contemporaine, ajoutant que le même constat s’applique aux institutions de Bretton Woods qui ne reflètent pas, selon lui, la réalité de l’économie mondiale actuelle.
«Il est temps d’approfondir la coopération, de renforcer les institutions multilatérales et de trouver des solutions communes aux défis » mondiaux, a conclu le SG de l’ONU.

Russes et Occidentaux s’accusent mutuellement
La vision du secrétaire général a suscité divers commentaires. Le Pakistan s’est dit préoccupé par certaines notions émergentes comme le «multilatéralisme en réseau», jugé contraire à un ordre international constitué d’États souverains et égaux. L’Éthiopie et l’Égypte ont également émis des réserves sur le rôle qui pourrait être dévolu à des acteurs non étatiques.
Au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, le Venezuela s’est prononcé pour une revitalisation de la nature intergouvernementale des Nations Unies. Nombre de délégations ont surtout demandé un système international plus égalitaire. Le Pakistan a ainsi rejeté tout monde «unipolaire, bipolaire ou même multipolaire s’il doit être dominé par quelques États ultra-puissants».
Le ministre des affaires étrangères russe a appelé à la fois à un retour aux origines du système onusien, présentées comme l’incarnation d’un véritable multilatéralisme grâce à «l’accord fondamental des cinq membres permanents du Conseil de sécurité sur la primauté des objectifs et des principes de la Charte», et à l’adaptation de l’ONU aux «tendances objectives vers une architecture multipolaire » des relations internationales.
Pour M. Sergey Lavrov, le système initial a permis de garantir la sécurité mondiale et de créer les conditions d’une véritable coopération multilatérale régie par les normes universellement reconnues du droit international. S’il est entré dans une crise profonde, c’est parce que «l’Occident collectif » a cherché à substituer au droit international et à la Charte un prétendu «ordre fondé sur des règles» élaboré au seul profit de ses membres, le «milliard d’or», a-t-il tenté d’expliquer. «Ils se mettent d’abord d’accord en privé, dans un cercle restreint, et présentent ensuite ces accords comme la position de la communauté internationale», a dénoncé M. Lavrov, pour qui «personne n’a permis à la minorité occidentale de parler au nom de toute l’humanité».
S’il a pris pour illustration l’Ukraine dans sa dénonciation de la volonté occidentale de domination, M. Lavrov a estimé que la question n’est pas l’Ukraine mais «la manière dont les relations internationales seront développées». À côté de la protection des russophones d’Ukraine, «l’opération militaire spéciale» a pour objectif «d’éliminer les menaces pour notre sécurité que l’OTAN fait peser depuis des années directement sur nos frontières», a-t-il expliqué.
C’est au contraire l’Ukraine que les délégations occidentales qui ont participé au débat –limitées aux membres du Conseil, à l’Union européenne, au Canada et à l’Australie– ont mis au centre de la séance. Elles ont surtout dénoncé «l’hypocrisie» de la Fédération de Russie, accusée d’organiser un débat sur les moyens de faire mieux respecter le droit international alors que, selon les États-Unis, elle a «frappé au cœur de la Charte des Nations Unies et de toutes les valeurs qui nous sont chères».
La position russe a toutefois rencontré des échos. Parce que l’esprit de la Charte est le garant d’un avenir harmonieux pour tous, la Chine a appelé à la défendre de manière cohérente et en dehors de «petits clubs exclusifs qui reposent sur une dichotomie construite de toutes pièces entre prétendues démocraties et autocraties». Si le Brésil a affirmé qu’il n’accepterait jamais les violations de l’intégrité territoriale des États Membres, il a aussi rejeté les «tentatives plus subtiles» visant à imposer la volonté de certains pays sur la base de «concepts douteux».
De nombreux intervenants ont également mis en avant la nécessité de réformer le Conseil de sécurité, lequel, selon le secrétaire général, «bénéficierait de réformes reflétant la réalité géopolitique d’aujourd’hui». Les délégations africaines, mais aussi latino-américaines, ont dénoncé l’absence de membre permanent issu de leur région et demandé une représentation plus importante. Enfin, plusieurs pays ont également dénoncé le recours «par réflexe» aux sanctions, en particulier quand elles sont unilatérales. Enfin, pour l’Inde, qui avait organisé le 14 décembre dernier un débat du Conseil sur le thème «Une nouvelle orientation pour une refonte du multilatéralisme», il est urgent de réduire la distance entre le «Simu l’ONU» enseigné dans les universités et le monde réel, faute de quoi le multilatéralisme risque de sombrer dans l’insignifiance.

Econews