Les confidences d’Africa Intelligence : «Dans l’ombre et le silence, Joseph Kabila inquiète»

Ces dernières semaines, Joseph Kabila a dépêché une poignée d’émissaires dans plusieurs présidences africaines pour évoquer l’élection de 2023. Un activisme qui préoccupe les chancelleries occidentales et tout particulièrement Washington qui a pris langue avec l’ancien chef de l’Etat.
Dans l’ombre et le silence, Joseph Kabila inquiète. L’ancien président congolais (2001-2018) ne supporte plus la situation tant politique que militaire et peine à contenir sa colère contre son successeur, Félix Tshisekedi, qu’il considère comme un «dictateur à vaincre». Kabila s’estime sous une surveillance teintée de harcèlement administratif et exposé à une menace physique. L’ire du «raïs», conjuguée à un zeste de paranoïa, préoccupe dans les rangs de sa formation, mais aussi parmi les diplomates en poste à Kinshasa.

Rencontre avec Lucy Tamlyn
C’est le cas particulièrement des Etats-Unis, dont la nouvelle ambassadrice en poste à Kinshasa, Lucy Tamlyn, s’est entretenue en toute discrétion courant mai avec Joseph Kabila. La rencontre s’est tenue à Kinshasa, où le « raïs » séjourne depuis quelques semaines. La démarche est insolite pour la diplomatie américaine, qui s’est longtemps tenue à l’écart de l’ex-président voué aux gémonies par une grande partie du Département d’Etat. Le prédécesseur de Lucy Tamlyn, Mike Hammer, assumait sans ambages son soutien au nouveau régime de Félix Tshisekedi, qu’il conseillait pour neutraliser l’influence de son allié de circonstance d’alors, le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. Contactée par Africa Intelligence, l’ambassadrice n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Tout comme Lucy Tamlyn, l’ambassadeur des Pays-Bas en RDC, Jolke Oppewal, a obtenu une audience avec Joseph Kabila, dans sa ferme de Kingakati, à Kinshasa. De son côté, la représentante permanente du secrétaire général des Nations unies, Bintou Keïta, s’est aussi entretenue avec lui ces derniers mois. La cheffe de la mission onusienne en RDC (Monusco) a tenu à écouter les vues et analyses de l’ancien président dans le cadre de sa mission de bons offices.

Tracasseries administratives
A chaque fois, Joseph Kabila fulmine contre Félix Tshisekedi. Sur le plan personnel, il s’estime privé de sa liberté de mouvement. Chacun de ses déplacements en jet privé est soumis à l’autorisation préalable du chef de l’Agence nationale de renseignements (ANR), Jean-Hervé Mbelu Mbiosha, en lien avec le chef de l’Etat. Pour se rendre en Afrique du Sud, où il suit un cursus universitaire et a pour habitude de voir ses médecins, il est arrivé à Joseph Kabila de voyager par la route dans un convoi de véhicules sécurisés. Autre grief : les tracasseries administratives pour le renouvellement des passeports de certains membres de son clan. Il regrette par ailleurs que plusieurs de ses plus proches collaborateurs soient contraints à l’exil ou à être en cavale.
Sur le plan politique, il martèle devant ses interlocuteurs que les élections de décembre n’auront pas lieu. Il jette l’anathème en particulier sur la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de même que la Cour constitutionnelle, incapables à ses yeux d’organiser le scrutin et de garantir un processus équitable. A cela s’ajoutent des critiques sur le supposé isolement international de la RDC, et les relations dégradées de Félix Tshisekedi avec ses voisins de la sous-région.

Des émissaires en Afrique australe
Ce discours, il le fait porter par des émissaires qui sillonnent la sous-région pour plaider sa cause auprès des chefs d’Etat. Selon nos informations, des représentants de la «Kabilie » ont été dépêchés ces dernières semaines auprès de plusieurs présidents d’Afrique australe, notamment le Sud-africain Cyril Ramaphosa, le Zimbabwéen Emmerson Mnangagwa, et le Namibien Hage Geingob. Une autre délégation est chargée des pays membres de l’East African Community (EAC), tels que le Rwanda de Paul Kagame, l’Ouganda de Yoweri Museveni, le Kenya de William Ruto et la Tanzanie de Samia Suluhu Hassan.
Selon l’un de ces missi dominici, l’objectif est d’alerter, au nom de Joseph Kabila, sur la dérive actuelle du pouvoir congolais et sensibiliser au risque que le pays s’enfonce dans une nouvelle crise. L’ex-chef de l’Etat fait rappeler aux présidents de la région qu’il a veillé à préserver l’intégrité territoriale avant de quitter le pouvoir et permettre, comme il le répète sans cesse, la première alternance pacifique en RDC. Sur le volet militaire, Joseph Kabila met également en exergue la désorganisation de la troupe, ainsi que leur manque d’équipement et leur incapacité à porter un coup décisif au M23.
L’ancien président se montre en revanche moins disert sur ses intentions autour de l’échéance électorale de décembre 2023. A ses yeux, le processus électoral risque de déboucher sur une violente crise politique, dont il pourrait tirer profit en se présentant comme un recours. Cette stratégie de «l’homme providentiel» laisse toutefois dubitatifs certains cadres de sa formation qui ont été invités à ne pas faire acte de candidature aux législatives de décembre.

Le cercle restreint des fidèles
Depuis 2019, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), ainsi que la coalition politique du FCC, sont restés étrangement atones dans leur opposition à Félix Tshisekedi. Le congrès du parti, qui devait se tenir l’an dernier, a été reporté sine die, laissant les militants suspendus à une décision du chef qui ne vient pas. Plusieurs figures de la «Kabilie» ont fait défection ces derniers mois pour rallier l’Union sacrée du président Tshisekedi, le dernier en date étant Léonard She Okitundu, cofondateur du PPRD et ancien ministre des affaires étrangères (décembre 2016-mars 2019).
Désormais, Joseph Kabila s’est replié sur un cercle restreint de collaborateurs. Parmi ses hommes de confiance se trouve son ancien chef de la diplomatie, Raymond Tshibanda. Ce dernier coordonne un petit noyau dur composé notamment de l’ex-ministre des droits humains, Marie-Ange Mushobekwa, du candidat malheureux à la présidentielle de 2018, Emmanuel Ramazani Shadary, et de l’ancien vice-président, Azarias Ruberwa.
Ce quatuor était chargé de représenter le « raïs » auprès de la délégation du Conseil de sécurité des Nations unies venue à Kinshasa mi-mars, mais a d’abord été empêché de se rendre à l’aéroport international de N’djili par des éléments de la Garde républicaine. Une réunion a toutefois pu se tenir et un mémo résumant les doléances de Kabila a été transmis au siège des Nations unies à New York.

Enigmatique et taiseux
Après avoir cultivé son image de «gentleman-farmer» en apparence en retrait de la vie politique, certains de ses proches collaborateurs observent désormais, non sans une certaine appréhension, le «raïs » se radicaliser.
Ce qui ravive au sein de la diplomatie occidentale les craintes, mais aussi les fantasmes sur de prétendus desseins de recours à la force par l’ancien président qui reste toujours aussi énigmatique et taiseux. Il entretient et subit une réputation d’ancien «maquisard », dont la pensée politique n’exclurait par le recours aux groupes armés et la gestion de foyers de tension. Ce que ses proches démentent catégoriquement.
Avec Africa Intelligence