Les vraies-fausses raisons de la présence de l’armée rwandaise sur le territoire congolais

Le 27 janvier 2023, le président rwandais Paul Kagame a accordé une interview exclusive à Jeune Afrique, justifiant la présence permanente de ses troupes sur le sol congolais. Curieusement, à Kinshasa, tout le monde s’est tu. Personne – en tout cas à l’officiel – n’a osé recadrer l’homme fort de Kigali. Est-ce par peur ou par compromission ? Difficile à dire. Libre penseur, Freddy Mulumba, ancien directeur général de la télévision national RTNC, a pris le courage de répondre au président rwandais. Il est convaincu que Kagame est aux abois. Il se bat pour la survie de son régime qui est en phase de décadence. Freddy Mulumba note qu’«avec l’arrivée de Félix Tshisekedi à la tête de la RDC, la tutelle du Rwanda sur la RDC est remise en cause». Tribune.
Dans une interview accordée à Jeune Afrique le 27 janvier 2023, le président Paul Kagame du Rwanda avance deux raisons pour justifier la présence de son armée sur le territoire congolais depuis plus de 25 ans. La première est la présence de FDRL en RDC et la menace qu’ils présentent pour la sécurité du Rwanda : «L’accusation selon laquelle j’interviendrais au Congo m’importe peu. Ce n’est ni la première ni la dernière. L’important est de savoir pourquoi j’interviendrais. Si vous ne vous posez pas cette question, vous passez à côté de l’essentiel. Or la réponse est simple : la menace que fait peser sur notre sécurité l’activité d’un groupe imprégné de l’idéologie génocidaire comme les FDLR est clairement susceptible de nous amener à intervenir en territoire congolais, sans excuses ni préavis. Quand vous êtes agressé, vous n’attendez pas les instructions de votre agresseur ou de son protecteur pour savoir comment réagir».
Et la deuxième raison, selon lui, reste la défense des populations Tutsi au Congo menacé de génocide :« Peu importe que ce mouvement (M23) se présente comme un groupe armé d’autodéfense des Banyamulenge, ces Congolais rwandophones de la communauté tutsie, largement victimes de discriminations depuis un quart de siècle, orphelins des promesses d’intégration non tenues conclues en 2009 puis en 2013 avec les autorités de Kinshasa» .
Cette rhétorique va jusqu’à remettre en cause la communauté internationale. « Prenons l’exemple du groupe terroriste FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda]. Comment expliquer qu’il soit toujours actif, vingt-neuf ans après le génocide, malgré la présence continue de la Monusco ? Fin 2019, ce groupe a encore mené une attaque meurtrière à Kinigi, dans le district touristique de Musanze, tuant 14 civils avant de trouver refuge du côté congolais de la frontière. Le fait que nous jugions de notre responsabilité d’éradiquer ces individus où qu’ils se trouvent – et nul ne nous en empêchera – n’est que la conséquence de l’impuissance de ceux à qui cette tâche incombait en premier lieu. En défenseur des tutsis Paul Kagame prête un serment : «Je vous l’assure, de mon vivant et du vivant des générations futures, il n’y aura plus jamais de génocide au Rwanda. Dussions-nous pour cela nous battre avec des arcs, des lances et des pierres, cela n’arrivera plus». (Jeune Afrique du 27 janvier 2023)
Ce narratif d’éviter un autre génocide des tutsi trouve les échos en occident surtout en Amérique. Car Washington se sente coupable du génocide rwandais comme l’avoue Susan Rice dans ses mémoires. « Il est difficile d’exprimer les multiples façons dont le génocide rwandais m’a affecté. C’était un traumatisme personnel, une source de cauchemars et de profonds regrets. Bien que je n’était pas un décideur de haut niveau, j’ai tout de même participé, au niveau opérationnel, à l’échec massif d’une politique. Je porte cette culpabilité en moi jusqu’à ce jour. Cela m’a rendu peut-être excessivement sympathique au Rwanda, à son peuple et à ses dirigeants.» (Susan Rice, Tough Love, My Story of the Things Worth Fighting For, Simon et Schuster, New York, 2019). C’est à cause de cette culpabilité du génocide rwandais que tous les rapports des experts des Nations Unies sur la tragédie congolaise durant 23 ans sont classés sans suite malgré les pillages des richesses de la Rdc, le génocide oublié de 10 millions des congolais et ses 5,5 millions de déplacés internes.

La question de la menace des génocidaires du FDLR
Depuis 1996, l’armée rwandaise est sur le territoire congolais soi-disant pour détruire les forces génocidaires hutu. Les troupes rwandaises ont attaqués les militaires de l’ancien régime rwandais d’Habyarimana et des camps des réfugiés dans les provinces du Nord, du Sud Kivu et du Maniema, notamment à Tingi Tingi. Le Rwanda a soutenu plusieurs rebellions de 1998, 2004, 2007, 2012, et 2021-2023 au motif de lutte contre les génocidaires. En plus, les armées rwandaise et congolaise ont été en opération conjointes « Umoja Wetu » en 2009 sous le régime de Joseph Kabila pour traquer les milices génocidaires de FDLR dans l’Est de la RDC. Avec le processus DDRR soutenu par les Missions de Nations Unies au Congo, des milliers des combattants et leurs suites ont été retournés au Rwanda.
Alors une question : comment expliquer que Paul Kagame n’est pas parvenu à éradiquer les génocidaires sur le territoire congolais sous contrôle durant de décennies ? Les réponses à cette question se trouvent dans les différents rapports des experts de Nations Unies cachés dans les tiroirs du Conseil de sécurité des Nations unies à New-York. Le Groupe d’Experts des Nations unies, dans l’Addendum du 27 juin 2012 au rapport intérimaire (S/2012/348/Add.1), a relevé que certains démobilisés combattants FDLR ont été recyclés et renvoyés en RDC pour renforcer le M23 et pour servir de prétexte au Rwanda dans sa visée guerrière. Dans tous les cas, les vrais FDRL sont en nombre insignifiant et ne présentent aucune menace crédible contre le Rwanda. En réalité, les motifs des agressions rwandaises sont également d’ordre économique.
Dans un rapport des experts des Nations (Conseil de Sécurité, rapport intérimaire (S/2002/56) publié en 2002 sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la RDC, le Groupe d’experts estime que la présence du Rwanda en RDC a pour but «d’accroître le nombre de Rwandais qui se trouvent à l’Est du pays et d’encourager ceux qui y sont déjà installés à conjuguer leurs efforts pour aider le Rwanda à exercer son contrôle économique ». Toutes les mines de coltan situées dans l’Est de la RDC sont exploitées soit par des groupes armés soit par des armées étrangères ou des sociétés qu’ils contrôlent (James H. Smith, The eyes of the word, mining the Digital age in the Eastern DR Congo, University of Chicago press, 2022).
Le Rwanda et l’Ouganda ont financé leurs dépenses militaires grâce aux revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles de la RDC. Pour le Rwanda, selon les experts des Nations Unies, 80 % de l’ensemble des dépenses de l’Armée rwandaise étaient couvertes en 1999 par les revenus des pillages des minerais de la RDC faisant du Rwanda le premier exportateur de minerais de coltan.
En tout état de cause, le gouvernement rwandais soutient la rébellion M 23 dont l’objectif est d’obtenir la sécession des deux Kivu (Addendum au rapport intérimaire du groupe d’experts sur la RDC/S/2012/348) en 2012. C’est dans ce contexte qu’il faut placer la rhétorique de la haine contre les tustis avec un glissement conceptuel de l’adjectif rwandophone utilisé par Paul Kagame et repris dans les médias. Cette rhétorique de la haine ethnique contre les rwandophones masque les conflits fonciers et économiques entre les différentes communautés dans la province du Nord Kivu. (Stanislas Bucyalimwe Mararo, «L’accumulation par dépossession» en territoire de Masisi (Nord-Kivu, RD Congo, Edilivre, Paris, 2016).
Depuis 1996, la région autour de Goma- surtout les hauts plateaux de Masisi et de Bwito, où vivent principalement des descendants d’immigrés du Rwanda- est dirigée par des élites qui entretiennent des relations étroites avec le Front patriotique rwandais (FPR) à Kigali. Des officiers de l’armée rwandaise élèvent en effet du bétail à Masisi et d’importantes entreprises rwandaises – dont certaines appartiennent au parti au pouvoir – font le commerce de tout un éventail de marchandises, allant du carburant à l’eau potable. (Janson Stearns, Du CNDP au M23, évolution d’un mouvement armé dans l’Est du Congo, Institut de la Vallée du Rift/projet Usalama 2012).
Voilà la raison d’être du Rwanda au Congo et non l’éradication des génocidaires hutus comme l’atteste un ancien patron des renseignements rwandais Patrick Karegeya assassiné en Afrique du Sud. «L’externalisation de la zone de guerre fait partie de cette politique, tout comme la mise en place d’une zone tampon », avait-il déclaré à Wrong à l’époque. «Ainsi, en raison de nos tailles relatives, nous ne quitterons jamais la RDC, par exemple, tant qu’il n’y aura pas à Kinshasa un gouvernement auquel nous pouvons faire confiance». (Michela Vrong, Do Not Disturb, The story of a political Murder and an African regime Gone Bad, 4th Estate, London, 2021).
Mais, avec l’arrivée de Félix Tshisekedi à la tête de la RDC, la tutelle du Rwanda sur la RDC est remise en cause. Voilà la compréhension de la crise en Paul Kagame et Félix Antoine Tshisekedi.
Par ailleurs, il faut placer cette guerre d’usure dans le cadre de l’implosion ou de la balkanisation de la RDC comme l’atteste le témoignage de l’Evêque de Bunia dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo. La déclaration de l’évêque de Bunia, Dieudonné Uringi, lors de la messe dominicale du 31 mai 2020 en témoigne. Il avait révélé ceci : «J’étais en Allemagne, on m’a montré une carte, j’ai découvert que la RDC est déjà divisée en quatre Etats ».
En réalité, il mène cette guerre d’usure dans le cadre de la réconfiguration de la Région des Grands Lacs, souhaitée par les globalistes utilisant les réfugiés rwandais comme acteurs/auteurs des mutations géopolitiques. (Philippe Biyoya Makutu Kahandja, La Géopolitique de l’instabilité dans la Région des Grands Lacs, L’Harmattan RDC, Paris, 2009).
Freddy Mulumba Kabuayi wa Bondo
Politologue