Prolifération des mines artisanales : halte au bouc-émissaire, l’Etat congolais doit s’assumer !

A ce jour, 800 coopératives artisanales opèrent en RDC, dont 80 % sont fictives. La plupart d’entre elles fonctionnent en dehors du cadre légal. Si les révélations d’Alain Foka, journaliste à RFI, a essentiellement épinglé la partie Est de la République, le Grand Katanga et l’Ituri ne sont pas épargnés. En réalité, les opérateurs ont trouvé dans les failles de la loi minière et l’inaction de l’administration des Mines pour prospérer. Sans verser dans le raccourci de nommer un bouc-émissaire, seul l’Etat congolais doit rétablir  l’ordre dans le secteur artisanal, du reste consacré dans le Code minier révisé. Il s’agit de faire appliquer la loi minière dans toute sa rigueur, tout en donnant à la direction des Mines du secrétariat général aux Mines de disposer de tous les leviers de contrôle pour respecter la loi.

Les révélations du journaliste Alain Foka de RFI sur la prolifération des mines artisanales, opérant en toute opacité dans les provinces de l’Est, particulièrement dans le Sud-Kivu, a suscité un grand éveil national.

Du Parlement au Gouvernement, tous se mobilisent pour voir un peu plus clair sur ce qui passe réellement dans les mines artisanales de la RDC.

En réalité, la situation qui prévaut dans le Sud-Kivu n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Le Grand Katanga, avec ses quatre provinces démembrées (Haut-Katanga, Lualaba, Tanganyika et Haut-Lomami), n’échappe pas à cette dure réalité. L’Ituri n’est pas non plus épargné. Qu’est-ce qui se passe réellement dans ces mines, dites artisanales ?

Au commencement étaient les groupes armés

En République Démocratique du Congo, l’exploitation artisanale ne date pas d’aujourd’hui. De tout temps, ces mines ont été un moyen de subsistance pour les populations locales, incapables de s’engager dans un projet minier industriel.

Pour le cas spécifique de la partie Est, il y avait un temps où l’activité minière artisanale était l’apanage des groupes armés. Des études ont nettement prouvé que la prolifération des groupes armés a été directement liée à l’exploitation artisanale.

Pour le moment, la situation a nettement évolué. Actuellement, les groupes armés ont baissé d’intensité, en se faisant remplacer sur le terrain des mines artisanales par des coopératives minières. A ce jour, les statistiques les plus recettes dénombrent près de 800 coopératives minières sur l’ensemble du territoire congolais.

Si l’existence des coopératives minières qui regroupent généralement des exploitants artisanaux est consacré par la loi minière congolaise, la plupart d’entre-elle, soit 82%, sont méconnues des services officiels et opèrent en toute illégalité. Quant au reste, l’exercice de leurs activités ne cadre pas avec les prescrits de la loi.

Entre les groupes armés qui ont été, depuis longtemps, servi de couverture aux exploitants artisanaux, la situation a nettement évolué sur le terrain. Actuellement, derrière des coopératives minières ou des exploitants artisanaux, il y a des notables provinciaux ou nationaux qui se cachent. La situation et d’autant plus préoccupante que les coopératives minières, généralement illicites, se sont liés avec des Chinois pour développer des activités semi-industrielles sur des périmètres censés être reconnus à l’activité artisanale

Des sources concordantes renseignent que des sujets chinois répertoriés dans la partie Est proviennent généralement du Ghana d’où ils ont été chassés, après avoir excellé dans les pratiques illicites.

Qu’est-ce qui fait alors prospérer ces coopératives illicites sur le terrain ? C’est tout le problème. Autrement dit, c’est le grand arbre qui cache la forêt. Car, on ne peut comprendre que des gens mobilisent de gros moyens dans un périmètre sans que les autorités ne soient au courant.

C’est dire que la question de la prolifération des activités artisanales, dont la plupart échappe au contrôle de l’Etat, pose un sérieux problème de l’administration du Code minier.

Est-ce donc une occasion de s’attaquer au Cadastre minier (CAMI), comme c’est le cas, depuis qu’a été révélé au grand jour l’exploitation minière sauvage dans le Sud-Kivu ?

Dans les milieux des miniers, on dénonce ce raccordement frauduleux qui ne vise qu’une chose, c’est-à-dire détourner l’attention du grand public vers le vrai problème.                 En réalité, le problème de l’exploitation minière artisanale est ailleurs. La solution ne se trouve pas au niveau du CAMI, dans la mesure où ce service public n’intervient nullement dans l’encadrement des mines artisanales, tâche plutôt dévolue au Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (SAEMAPE).

L’artisanat minier à petite échelle est un secteur en grande partie informel à propos duquel l’information sur la production, les revenus, les opérations et même la localisation de l’activité est bien souvent limitée. La réglementation du secteur est souvent inadéquate et il est difficile de faire des estimations de sa contribution réelle à l’économie d’un pays.

Aujourd’hui que la question de l’artisanat a été mise au-devant de l’actualité, il est temps de rétablir l’ordre dans ce secteur. La voie de sortie passe par la stricte application de la loi en renforçant son administration sur le terrain, tant au niveau provincial que national.

Assainir la filière de l’artisanat minier ne relève pas d’un miracle. Il faut juste donner à tous les services du ministère des Mines le plein pouvoir d’opérer sur le terrain. Quand on dénombre 800 coopératives minières, dont 80% restent illicites, il y a une bonne raison de parler d’un laxisme à un niveau de l’Etat congolais. En réalité, les coopératives minières sont butées aux faiblesses de la loi minière pour prospérer. Ce sont toutes ces failles qu’il faut corriger. C’est dire qu’en fin de compte, c’est l’Etat congolais qui a la clé pour assainir l’exploitation minière artisanale en RDC.

Un raccordement frauduleux

La stratégie de bouc-émissaire n’est qu’une fuite en avant. Pointé du doigt comme responsable du désordre dans la filière minière artisanale, le CAMI n’a pas tardé à réagir.

Dans un communiqué de son département de communication, le CAMI ne cache pas son indignation face à une campagne de désinformation qui tente d’associer son directeur général, Jean-Félix Mupande, dans le désordre qui s’est installé dans l’exploitation minière artisanale

Sans détours, le Cami fait remarquer qu’«au-delà du fait que Jean-Félix Mupande n’a aucun lien, direct ou indirect avec les sociétés ou coopératives épinglées dans ces activités, toute personne familière avec le secteur minier, sait pertinemment mieux que l’exploitation minière artisanale ne relève pas de ses missions»; le CAMI étant plutôt «chargé de la gestion du domaine et des titres miniers», ne se limitant qu’à «recevoir les dossiers de demandes de droits miniers, à les instruire, à en délivrer les titres après leur octroi par l’autorité compétente et à tenir leur registre ». 

Plus loin, le CAMI précise que «les activités de recherche et d’exploitation qui découlent de ces droits sont strictement réglementées par le Code minier. Précisément, le Règlement minier a aussi désigné de manière claire, en ses articles 10, 11,12 et 13, les services attitrés responsables du suivi et de contrôle de ces activités sur terrain ». Ce qui le décharge de toute action touchant à l’administration du Code minier.

Pour toutes ces raisons, le CAMI trouve «malsain» ce raccourci qui consiste à l’«associer cette institution, encore moins son directeur général, aux activités minières artisanales illicites exercées en pleine violation de la loi par des opérateurs mieux identifiés, titulaires de droits miniers ou coopératives minières au moyen des équipements lourds, semi-industriels ou industriels au vu et au su des autorités politico-administratives de la province ».

Pour le cas spécifique de la société « Congo Bluant Minéral», le CAMI explique que, son registre renseigne que celle-ci détient sept permis de recherches (PR), dans les territoires de Mwenga et de Shabunda, au Sud- Kivu, qui ne lui donnent pas droit à se livrer aux activités d’exploitation, mais plutôt à l’exploration pour aboutir à la découverte d’un gisement économiquement exploitable. «Agir autrement, constitue une infraction prévue et réprimée par l’article 299 du Code minier», rappelle le Cami dans son communiqué.

Autrement dit, le ver est dans le fruit. Il se trouve bel et bien dans l’inaction de l’Etat de faire appliquer pleinement la loi minière. Le passage obligé pour un meilleur encadrement de l’artisanat minier passe par une bonne administration de la loi minière. Chercher ailleurs, c’est se tromper de cible.

Econews