Sommet de la Francophonie en Tunisie: après le Covid-19, un nouveau report au goût politique

À un peu plus d’un mois de l’événement, la décision d’un report semble motivée en grande partie par la situation politique en Tunisie.

Le 18e sommet de la Francophonie, initialement prévu à Djerba en novembre prochain, est reporté d’un an par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Ce report, officialisé mercredi 13 octobre, doit « permettre à la Tunisie de pouvoir organiser cette instance importante dans les conditions les plus optimales», selon des communiqués émanant de l’OIF et du ministère tunisien des Affaires étrangères. C’est le deuxième report en un an, et tout le monde semble s’en accommoder.

Certaines ambassades africaines à Paris mettent en avant le fait que la Tunisie n’était pas prête à accueillir les délégués des 88 États francophones, explique Claire Fages, du service Afrique de RFI. Mais en réalité, depuis que le pouvoir s’est durci à Tunis et que le président Kais Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs, organiser un sommet de la Francophonie à Djerba mettait les États membres de l’OIF dans l’embarras. Il semble que le Canada ait été le pays le plus actif à demander un report.

Les représentants des États et gouvernements membres de l’OIF se sont réunis mardi en présentiel et visioconférence, sous la présidence de la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo.

«Les représentants des États et gouvernements membres ont débattu ouvertement et dans un souci de cohésion et de solidarité, sur l’organisation du sommet en Tunisie dans les délais initialement prévus. Ils sont arrivés à un consensus sur la nécessité de reporter d’un an le 18e Sommet de la francophonie, afin de permettre à la Tunisie d’organiser cette instance importante dans les conditions les plus optimales», précise le communiqué de l’OIF.

De son côté, le ministère tunisien des Affaires étrangères a fait savoir, dans un communiqué, que les «discussions ont abouti au consensus des représentants des États membres concernant la Tunisie, hôte de ce sommet, et le report de la date de sa convocation sur l’île de Djerba à 2022 afin d’assurer une large participation au plus haut niveau et de ne pas avoir à le tenir à distance ».

La décision doit être formellement adoptée lors d’une Conférence ministérielle de la francophonie. « Cette proposition [du report d’un an, NDLR] va être validée dès que les ministres auront statué », a déclaré à l’AFP Oria Vande weghe, porte-parole de la secrétaire générale.

«C’était une décision unanime et la Tunisie a exprimé elle-même son ouverture à l’idée d’un report. La réunion s’est déroulée dans un esprit de consensus en faveur d’un report d’un an, et l’objectif est de permettre à la Tunisie d’organiser le sommet dans les meilleures conditions», a poursuivi la porte-parole.

La réunion des ministres devrait se tenir dans «une dizaine de jours », a-t-elle précisé.

«Le report a fait l’objet d’un consensus »

De son côté, la France était de plus en plus mal à l’aise face au durcissement politique tunisien, dénoncé de plus en plus ouvertement par des avocats et des militants des droits de l’homme, à Tunis comme à Paris. Le discours officiel reste neutre cependant : «Nous étions favorables à toute solution agréée entre l’OIF et la Tunisie», déclare une source à l’Élysée, tandis qu’au ministère des Affaires étrangères, on souligne que «le report du sommet a fait l’objet d’un consensus du Conseil permanent de l’organisation».

Une façon de laisser une marge de manœuvre à la Tunisie. Cette dernière sauve la face en demeurant, pour l’instant, le pays hôte dans un an.

«L’OIF n’est pas une organisation de sanction»

Frédéric Turpin, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Savoie et auteur de « La France et la francophonie politique. Histoire d’un ralliement difficile », souligne qu’il s’agit pour l’instant d’un report et non d’une annulation, comme ce fut le cas en 1990 pour le sommet de la Francophonie à Kinshasa, après les massacres d’étudiants à Lubumbashi.

«À Kinshasa, l’intensité des massacres d’étudiants avaient particulièrement choqué, non seulement au Zaïre (ancien nom de la République Démocratique du Congo, sous Mobutu Sese Seko, NDLR), mais aussi dans toute l’Afrique et dans le monde entier. Là, c’est une rupture de l’ordre constitutionnel. Ça explique qu’on prenne beaucoup plus de pincettes dans la manière d’engager un report avec le président tunisien. Mais d’un autre côté, on essaie aussi de garder toutes les voies du dialogue possible. Parce que l’OIF n’est pas une organisation de sanction, mais de dialogue et de médiation », développe l’historien.

Un contexte politique et socio-économique incertain

La décision a été motivée en grande partie par la situation politique en Tunisie. En effet, après des mois de blocage politique, le président tunisien Kaïs Saïed avait invoqué, le 25 juillet dernier, un «péril imminent» pour limoger le gouvernement et suspendre le Parlement. Des mesures dénoncées comme un «coup d’État» par ses opposants et des ONG qui manifestent régulièrement. Le mois dernier, le chef d’État avait suspendu certains chapitres de la Constitution.

Il aura fallu attendre lundi 11 octobre pour qu’un nouveau gouvernement prête serment, après onze semaines de crise. Mais, très endettée et dépendante des aides internationales, la Tunisie fait face à une profonde crise économique et sociale – chute du PIB, forte inflation, chômage à près de 18 % –, aggravée par la pandémie de Covid-19. Malgré la menace d’une crise des finances publiques, la Première ministre Najla Bouden n’a évoqué aucune réforme économique. Son gouvernement donnera la priorité à «la lutte contre la corruption», a-t-elle déclaré.

Dans ce contexte, la tenue du Sommet de la francophonie dans le pays devenait de plus en plus problématique. L’ancien président Moncef Marzouki et d’autres voix ont officiellement appelé au boycott de ce sommet.

Jusqu’au bout, les organisateurs tunisiens ont tenté de rassurer et de pousser pour que le sommet ait lieu, la secrétaire générale de l’OIF s’est même rendue sur place samedi. Face à elle, le chef de l’État, Kaïs Saïed, avait dénoncé d’un ton énigmatique ceux qui « sont allés à Paris et ont essayé de faire capoter le Sommet de la francophonie ».

Un agenda bousculé pour l’OIF

Basée à Paris, l’OIF compte 88 États et gouvernements. La Francophonie a notamment pour missions de promouvoir la «langue française et la diversité culturelle et linguistique », «la paix, la démocratie et les droits de l’homme», ou encore «d’appuyer l’éducation».      Nommée en octobre 2018 secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo a présenté en mars un rapport d’étape de sa mission à Emmanuel Macron, avec plusieurs rendez-vous clés.

Outre le Sommet de Djerba reporté à une date encore inconnue se sont tenus les États généraux du livre en langue française les 23 et 24 septembre à Tunis, manifestation supervisée par Leïla Slimani. Enfin, projet phare du président français, une Cité internationale de la langue française installée au château de Villers-Cotterêts doit ouvrir ses portes début 2022.

Le 20 mars 2018, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir développer la langue française et le plurilinguisme et déplacer le centre de gravité du monde francophone vers l’Afrique de l’Ouest, où se trouvent le plus grand nombre de locuteurs francophones.

Econews avec Le Point Afrique