10 millions de morts et 500.000 femmes violées en RDC. La révolte de Charles Onana: «Rien ne saurait justifier le silence de la communauté internationale»

Docteur en science politique, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs et des conflits armés, Charles Onana est l’auteur de plusieurs livres de référence sur cette région. Il vient de publier un nouvel ouvrage au titre accrocheur : «Holocauste au Congo. L’Ormeta de la communauté internationale» (Éditions l’Artilleur). Un  travail d’investigation savamment mené qui alerte l’opinion sur la tragédie que vit le peuple congolais dans l’Est du pays. Un livre pour l’histoire de 486 pages préfacé par Charles Million, ministre de la Défense de Jacques Chirac, de 1995 à 1997. Entretien avec Robert Nlandu Kongo, depuis Paris, pour le compte d’Econews.
Vous venez de publier aux éditions de «L’Artilleur» un nouveau livre intitulé «Holocauste au Congo» avec le double sous-titre «L’Ormeta de la communauté internationale» et « La France complice ?». De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un ouvrage scientifique qui porte sur la plus grande extermination d’êtres humains en Afrique, notamment en République Démocratique du Congo (RDC) depuis la fin du 20e siècle dans l’indifférence totale. Ce travail s’appuie en partie sur des documents d’archives de la Maison Blanche, de l’Élysée, sur de nombreux documents confidentiels de l’Union Européenne et sur diverses confidences d’acteurs politiques et de diplomates de premier plan mais aussi de travaux de nombreux chercheurs et parlementaires congolais. L’omerta repose sur le fait que tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU sont parfaitement au courant des crimes contre l’humanité qui sont perpétrés en RDC mais personne n’ose dénoncer ni sanctionner ses auteurs. Cela est très grave et intolérable !

Plus de 10 millions de morts, au moins 500 000 femmes violées… Selon vous, qu’est-ce qui justifie le silence de la communauté internationale qui semble estimer que les crimes commis contre les Congolais, depuis 1996-1997, dans l’Est de la RDC, sont à passer par pertes et profits ?
Rien ne saurait justifier le silence de ce que l’on désigne sous le vocable de «communauté internationale», sauf la volonté de dissimuler la vérité. Le Congo est la vache à lait du monde entier puisque n’importe qui peut la traire sans avoir de compte à rendre. Les 10 millions de morts et les 500 000 femmes violées semblent, aux yeux de certains, insignifiants et sans valeur. Il s’agit pourtant d’êtres humains dont la vie est aussi précieuse que celle de leurs bourreaux. Seulement, ceux qui pillent la RDC et qui cherchent à s’emparer des terres congolaises estiment que la vie d’un Congolais ou d’une Congolaise ne compte pas. Ce sont ces prédateurs qui s’acharnent à taire tous les crimes qui sont commis en RDC. Redoutent-ils le scandale qui est rattaché à l’étendu des crimes contre l’humanité qu’ils commettent dans ce pays ? Je crains qu’ils ne soient pas capables d’assumer l’ampleur des massacres de Congolais.

D’après votre enquête, la France a-t-elle participé directement ou indirectement à la réalisation des atrocités commises par les Tutsi rwandais, ouga-ndais et burundais dans les régions du Nord et Sud-Kivu ?
D’abord quand je parle de la France, j’essaye toujours d’être précis car il s’agit essentiellement de la France des présidents Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron. La politique de Jacques Chirac et de François Hollande n’a rien en commun avec celle des deux premiers. Le président Chirac a laissé faire Bill Clinton en 1997 au Congo-Zaïre mais il a gardé ses distances avec Paul Kagame. Ce fut aussi le cas du président Hollande. Quant à Nicolas Sarkozy, il a joué un rôle désastreux dans le drame du Congo, puisqu’il est allé jusqu’à dire publiquement, au moment où les Nations Unis rendaient public le rapport Mapping sur les massacres perpétrés en RDC par des milices du Rwanda, que la RDC devrait partager ses richesses avec le Rwanda. Ceci a donné aux Congolais le sentiment que le chef de l’Etat français encourageait le pillage de leurs ressources et que Paul Kagame pouvait continuer à faire massacrer les Congolais sans que cela soit un problème à ses yeux. Il ne s’est pas arrêté là. Son grand rapprochement avec le Rwanda et Paul Kagame a achevé de convaincre plusieurs hauts responsables et intellectuels congolais qu’il y avait une forme de connivence entre le président Sarkozy et Paul Kagame dans leurs politiques à l’égard de la RDC. Emmanuel Macron semble a voir pris la même direction que Nicolas Sarkozy puisqu’il a carrément provoqué une altercation avec le président Tshisekedi à Kinshasa; ce qui ne s’était pratiquement jamais produit entre un chef de l’état congolais et français depuis les indépendances africaines en 1960. A aucun moment Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron n’ont critiqué la politique criminelle du Rwanda en RDC, malgré les multiples rapports de l’ONU à ce sujet. Il est donc légitime que l’on interroge sur l’attitude de ces dirigeants français sur l’holocauste en cours au Congo. C’est le sens de ce sous-titre «la France complice ?».

Au vu de la situation dans cette partie de la RDC, où sont les associations des droits de l’homme ?
C’est une excellente question qu’il faut poser à ces agitateurs qui prétendent lutter pour la défense des droits humains. Les Congolais ne sont-ils pas des humains et n’ont-ils aucun droit susceptible d’être défendu ? Kagame et ses milices sont-ils aujourd’hui les seuls à dire le droit, en exigeant qui doit être poursuivi ou condamner ? C’est regrettable de voir des organisations qui disent défendre les droits humains servir la soupe à un dictateur réputé pour ses crimes contre l’humanité. Quand on observe leur silence sur l’holocauste que Kagame et ses milices Tutsi commettent en RDC, on fini par ne plus prendre ces associations au sérieux. Depuis 1994, ces associations n’ont eu de cesse de s’indigner du génocide des Tutsi au Rwanda. Beaucoup ont cru qu’elles avaient un courage exceptionnel. Maintenant que les milices Tutsi de Paul Kagame exterminent les Congolais chez eux, on n’entend personne maugréer. Les Congolais ne méritent-ils pas que l’on s’indigne de l’holocauste dont ils sont victimes depuis bientôt 30 ans ? Eux qui ont tour à tour accueilli Tutsi et Hutu sur leur territoire seraient-ils devenus des victimes «sans importance» ? Manifestement la défense des droits humains ne concernerait que ceux qui sont proches de Kagame ou qui le défendent pas ceux qui en sont ses victimes. Mon ami Tutsi, Déo Mushayidi, victime du génocide en 1994, en sait quelque chose. Il est incarcéré à perpétuité au Rwanda pour avoir critiqué Paul Kagame et dénoncé le massacre des Congolais. Aucune de ces prestigieuses organisations dites de défense des droits humains n’a levé le petit doigt pour Déo Mushayidi. Ne serait-il pas lui aussi un être humain ? On découvre avec effroi et stupéfaction le cynisme et l’hypocrisie de certaines de ces organisations.

Pensez-vous que l’administration Mobutu a failli dans la gestion de l’accueil des réfugiés rwandais au Zaïre à l’époque ?
Le président Mobutu, bien que très avisé et très bien informé, a eu la naïveté de croire «aux bonnes relations» qu’il entretenait pendant les trente deux années de règne avec Washington. La question des réfugiés rwandais, qualifiés collectivement et abusivement de «génocidaires» par Kagame et Washington, est, de ce point de vue, très éloquente. Le chef de l’Etat zaïrois avait cru qu’en accueillant massivement les réfugiés rwandais dans son pays, la communauté internationale lui sera reconnaissante ou que l’administration Clinton appréciera sa bonne foi. Il s’est trompé car le flux de réfugiés vers le Zaïre faisait bien partie du plan de déstabilisation de son pays et visait en même temps à le renverser du pouvoir. Il n’a compris cela que trop tard. J’ai eu beaucoup de peine en lisant sa lettre du 6 novembre 1996 au président Clinton dans laquelle il implorait pratiquement l’aide du gouvernement des Etats-Unis et surtout de Bill Clinton qui préparait, avec Kagame et Museveni (président ougandais), à renverser le maréchal Mobutu.

Que pensez-vous du management de la guerre dans l’Est par les régimes Kabila, père et « fils », et le pouvoir en place en RDC ?
Laurent-Désiré Kabila a exprimé très clairement sa position vis-à-vis du Rwanda de Paul Kagame dont l’objectif principal reste le pillage des ressources et le contrôle du pouvoir en RDC. Son engagement patriotique en 1998 contre le Rwanda lui a valu d’être assassiné en 2001. Joseph Kabila est, pour sa part, resté muet et a permis l’infiltration massive des Tutsi Rwandais dans les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) en utilisant le «mixage» et le programme Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR). C’est un programme catastrophique qui a achevé de détruire de l’intérieur l’armée congolaise et l’essentiel de son appareil sécuritaire. Ce programme a consisté à injecter ou à intégrer des miliciens Tutsi venus du Rwanda ou du Burundi dans les forces de sécurité de la RDC. C’est au cours des 18 années que Joseph Kabila a passé à la tête de la RDC que l’armée et les institutions de la RDC ont connu l’infiltration massive des mercenaires Tutsi rwandais au sein des institutions nationales. C’est aussi à cette période que l’on observe le développement du pillage organisé et des massacres de masse au Nord et au Sud-Kivu. Le président Félix Tshisekedi a commencé, pour sa part, à envisager un rapprochement avec Kigali croyant ainsi contribuer à ramener la paix mais il s’est aperçu que Paul Kagame est resté belliqueux et qu’il ne respectait aucun des accords de paix signés avec la RDC. La volonté de recourir aux troupes est-africaines fut, à mon avis une erreur d’appréciation. Certains de ses membres sont à la base du drame de la RDC. Je l’avais dit avant son déploiement et les dirigeants congolais sont finalement arrivés à la conclusion qu’elles ne pouvaient pas empêcher les massacres du M23, la milice venue du Rwanda. La décision du président Félix Tshisekedi de rompre toute discussion avec ce mouvement terroriste M23 est un acte louable. Il faut aller plus loin et fermer durablement la frontière avec le Rwanda.

À vous lire, le Rwanda sert d’instrument au service des puissances occidentales et les milieux d’affaires anglo-saxons dans la déstabilisation de la RDC. Pourquoi depuis longtemps les gens avaient sous-estimé le rôle que joue Paul Kagame dans cette entreprise ?
Parce que l’on s’est contenté de regarder Paul Kagame avec les yeux de Chimène comme la presse occidentale et certaines organisations internationales le suggèrent depuis 1994. Très peu ont pris la peine de le regarder tel qu’il est et de voir ce qu’il fait à l’intérieur et à l’extérieur du Rwanda. On s’est contenté de la propagande sur Kigali «ville propre», «tout est beau, tout est bien». Au fil du temps, la réalité est devenue évidente et cruelle. Quand il prétendait poursuivre des génocidaires en RDC, tout le monde applaudissait. Maintenant qu’il réclame des terres au Congo-Kinshasa et qu’il en achète au Congo-Brazzaville, tout le monde se tait. De même, quand l’ONU a commencé à parler des massacres et du pillage des minerais en RDC par l’armée rwandaise, peu de voix se sont élevées pour dénoncer ces faits criminels. Aujourd’hui, même les membres du Congrès et du Sénat des Etats-Unis affirment ouvertement que les troupes de Kagame jouent un rôle néfaste en RDC. Cela change-t-il quelque chose dans l’attitude générale vis-à-vis du Rwanda ? Je ne crois pas.

Comment expliquez-vous l’intérêt porté par les États-Unis et l’Union européenne à l’égard des Banyamulenge qui s’approprient aisément la qualité des Congolais ?
Je ne sais pas ! Il faudrait leur poser la question. Je constate que beaucoup de Congolais se posent cette question sur la fascination que certains ont pour les Banyamulenge de Paul Kagame qui sèment la mort et le désastre en RDC.

«Tutsi Congolais» ! Que pensez-vous de cette falsification de l’histoire ?
Je crois que le parlement congolais, sous la présidence de l’honorable Vangu Mambweni, a fourni en 1996 la meilleure réponse en considérant qu’il y avait falsification. On peut dire que le terme se suffit à lui-même. J’ai simplement apporté d’autres éléments dans le livre pour compléter l’important travail qui avait été réalisé par les parlementaires zaïrois et par différents chercheurs congolais que l’on n’a pas voulu écouté sur cette histoire obscure.

Pensez-vous que le Tutsiland soit déjà en construction en Afrique de l’Est et en Afrique centrale ?
Si j’en juge par ce que vit le peuple congolais depuis 30 ans maintenant en terme d’extermination, d’expropriation ou encore ce qui se passe en République Centrafricaine ou ce que dénoncent les Congolais de Brazzaville et que j’explique dans le livre, il y a lieu de penser que la situation est préoccupante et que ce projet a fait des avancées sur plus d’un quart de siècle en Afrique Centrale.

Selon vous, est-il encore possible de faire échec à cette entreprise cynique de balkanisation de la RDC ourdie par les Tutsi de la région des Grands Lacs en Afrique avec le soutien des États-Unis et leurs grandes compagnies minières, et aussi de l’Union européenne ?
Oui, rien n’est jamais définitif sur terre. Il appartient aux Congolais de se mobiliser pour faire échec à ce sinistre projet d’extermination, de terreur et de domination. Le pape François a dit récemment aux Congolais, lors de son voyage à Kinshasa, que l’avenir de leur pays est entre leurs mains. Ils ne doivent pas douter de cette réalité ni avoir peur de se battre pour leur souveraineté, pour leurs droits et pour leur dignité. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Propos recueillis par Robert Kongo (CP)