Après les «Warriors» de Sama : bientôt le Gouvernement de «compétence professionnelle » !

Première femme nommée à la Primature en République Démocratique du Congo en plus de six décennies, Judith Suminwa Tuluka a d’emblée annoncé son credo ce 1er avril 2024 : «La formation du prochain gouvernement aura un seul critère unique et primordial, qui est la compétence professionnelle. Donc, mon gouvernement sera appelé ‘‘LE GOUVERNEMENT DE COMPÉTENCE PROFESSIONNELLE ». Mes premiers combats : le taux du dollar, la paix durable dans l’Est, le social… Une profession de foi pleine de bonnes intentions comme à l’accoutumée mais qui, face aux réalités du pouvoir, a tendance à prendre des chemins imprévisibles.  

En une décision historique, Judith Suminwa Tuluka est devenue la première femme à être nommée à la Primature de la République Démocratique du Congo en plus de six décennies. Son intronisation le 1er avril 2024 a été marquée par une déclaration forte et claire de ses intentions pour le pays : un gouvernement basé sur la compétence professionnelle.

«La formation du prochain gouvernement aura un seul critère unique et primordial, qui est la compétence professionnelle. Donc, mon gouvernement sera appelé LE GOUVERNEMENT DE COMPÉTENCE PROFESSIONNELLE », a déclaré Mme Suminwa Tuluka. Elle a souligné que ses premiers combats seraient la stabilité du taux du dollar, la recherche d’une paix durable dans l’Est du pays, ainsi que l’amélioration des conditions sociales pour tous les citoyens.

Après l’émotion, place au travail…

Au fil des jours, les passions nées de la nomination le 1er avril 2024 de Judith Suminwa Tuluka au poste de première ministre est en passe de retomber. L’avènement à la primature de l’ancienne ministre du Plan, unanimement saluée dans l’opinion en général et par la communauté Ne Kongo en particulier, a soulevé auprès de l’opinion, et à juste titre, un vent d’espoir après cinq années de tâtonnements au sommet de l’Etat et une gouvernance marquée de scandales d’Etat et d’indélicatesses financières qui ont fini par fragiliser l’appareil des instances dirigeantes.

Son cursus universitaire sans équivoque (Elle est économiste de formation)  et son parcours dans le secteur bancaire à l’internationale et le système des Nations Unies, suivi de son entrée au gouvernement Sama II en mars 2023, justifient le choix porté sur elle par le chef de l’Etat.

Il est également rappelé qu’au ministère du Plan, elle a piloté le projet emblématique du Programme de développement de 145 territoires (PDL-145). Sa nomination n’est nullement une grosse surprise car s’il était pratiquement acquis que la primature reviendrait à un (e) ressortissant (e) du Kongo central – contraintes géopolitiques obligent, son nom était régulièrement cité au cours des dernières semaines, dans le top 5 des primaturables parmi lesquels les députés élus Mukoko Samba et André Wameso.

LE DADA DE «LA MASCULUNITÉ POSITIVE »

En usant de son sacro-saint «pouvoir discrétionnaire » pour nommer une première ministre qui ne provient pas du lot des élus selon les prescrits de la Constitution, Félix Tshisekedi envoie un message clair : il reste le seul maître à bord.  D’une part, il confirme son nouveau dada dont ses partisans se font les relais et répètent à longueur des discours : celui de la «masculinité positive » qui consisterait à promouvoir l’ascension de la Femme dans les sphères des décisions tant politiques qu’économiques.

D’autre part, le chef de l’Etat veut apparaître en champion de la géopolitique interne en nommant à la tête du gouvernement  et à tour de rôle des personnalités venues de diverses aires géographiques du pays. La nomination de Judith Suminwa Tuluka est aussi un message de reconnaissance à ses électeurs du Kongo central qui, selon les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), lui ont apporté un score significatif lors de la présidentielle de décembre 2023.

Judith Suminwa Tuluka prend les rênes du Gouvernement en gestation dans un environnement général délétère. La monnaie nationale se déprécie au jour le jour avec une incidence catastrophique sur les prix des biens et services; la criminalité urbaine bat des records; la corruption et des actes d’incivisme se multiplient à l’infini. Par-dessus tout, l’état de guerre dans l’est absorbe une grande partie des quelques ressources mobilisables.

APRÈS LES «WARRIORS », LE «GOUVERNEMENT DE COMPÉTENCE PROFESSIONNELLE » 

«Je sais que la tâche est grande et les défis immenses », a déclaré la Première ministre peu après sa notification. Pour ce faire, elle entend s’entourer de compétences avérées. A ce propos, elle a déclaré que son équipe serait un «Gouvernement de la compétence professionnelle ».

L’euphorie consécutive à sa nomination tombée, Judith Suminwa Tuluka doit à présent faire face à la dure épreuve de la mise sur pied de son équipe gouvernementale. Une épreuve, dans la mesure où il est quasiment impossible que le camp de Félix Tshisekedi et la majorité UDPS à l’assemblée nationale lui laissent les mains libres.

MARCHE EN TERRAIN MINE

Cette profession de foi, empreinte de bonnes intentions et de volonté de changement, soulève cependant des questions quant à sa mise en œuvre effective. En effet, l’expérience a montré que les réalités du pouvoir peuvent parfois influencer les décisions des dirigeants et les éloigner de leurs engagements initiaux.

Il reste à voir comment Judith Suminwa Tuluka parviendra à concrétiser sa vision pour la RDC et à surmonter les nombreux défis qui se dressent sur son chemin. Son accession à la Primature représente un pas important vers l’égalité des genres dans la sphère politique du pays, et suscite à la fois espoir et attente chez de nombreux Congolais quant à l’avenir de leur nation.

Il est en effet de tradition dans ce pays que le chef du Gouvernement nommé s’en remette à composer avec une équipe qui lui est soumise d’office par le chef de l’Etat. Une pratique qui ôte l’essentiel de son autorité à un premier ministre réduit à gérer une équipe sur laquelle il n’aurait pas la mainmise assurée.

Malgré leur bonne foi, les premiers ministres congolais successifs se sont toujours inclinés aux appétits partisans des membres de gouvernements qui échappaient à l’autorité du premier d’entre eux.

Ayant succédé à Antoine Gizenga en 2016, Adolphe Muzito en a gardé un souvenir amer. Du vivant de Katumba Mwanke, alors le plus influent des conseillers du président Joseph Kabila, il avait dû faire face au délitement de sa fonction, l’essentiel du pouvoir ayant été transféré au Palais de la Nation où s’était établi un «Gouvernement parallèle » et se prenait l’essentiel des décisions de la plus haute portée nationale.

La parenthèse Matata Ponyo (2012-2016) aura dérogé quelque peu à la règle, lui permettant de mener sa politique de la stabilité macro-économique de concert avec la présidence d la république que seuls les faucons de l’opposition de l«’époque aujourd’hui au pouvoir s’autorisent à remettre en question.

Quant au premier ministre sortant, Jean-Michel Sama  Lukonde, son passage à la primature s’est soldé à avaler des couleuvres au sein d’une équipe gouvernementale ouvertement extravertie. Sa tâche s’est résumée la plupart du temps à accorder des audiences aux groupes vindicatifs et qui s’achevaient par d’interminables séances photos. Si, à de rares occasions, il ne représentait pas le président de la République lors des rencontres à l’étranger.

DES EMBÛCHES PARTISANES INEVITABLES

Le souhait de l’opinion nationale réjouie de l’arrivée de la première femme à la tête du gouvernement est que pour une fois elle passe un mandat de plein exercice matérialisé par le choix libre des futurs ministres en concertation avec le président de la République et sa classe politique.

Une démarche d’autant plus ardue que les ambitions ouvertement exprimées par les caciques de l’UDPS et leurs alliés n’entendent pas lui laisser la moindre chance d’émancipation à travers d’inévitables embûches partisans fondés sur la proximité familiale, ethnique ou amicale avec le président de la République.

Dans la confrontation qui précède la formation du gouvernement, l’arbitrage de Félix Tshisekedi sera constamment sollicité. Son inclinaison à faire pencher la balance du côté de sa cheffe du gouvernement ou à crier avec les loups de son pré-carré de faucons déterminera de la réussite ou non du mandat de Mme Suminwa Tuluka.

Econews