Compétition sino-américaine : la RDC tiraillée entre deux modèles économiques

A l’échelle mondiale, les Etats-Unis et la Chine se livrent une rude bataille pour un nouvel ordre mondial. En Afrique, la République Démocratique du Congo, pays aux immenses ressources naturelles, est au cœur de grands enjeux géopolitiques. Sera-t-elle le terrain de confrontation de ces deux grandespuissances économiques ? Politologue, Freddy Mulumba Kabuayi interroge l’histoire. Tribune.
Après plus de 40 ans de la guerre froide entre l’Union soviétique et les Etats-Unis d’Amérique, la République démocratique du Congo se trouve au centre d’une nouvelle guerre froide entre la Chine et les Usa. Deux modèles économico-politiques sont en concurrence (Alain Cota, L’hypercapitalisme mondial, Odile-Jacob, Paris, 2018). D’un côté, le centralisme démocratique (statuts du PCC du 22 octobre 2022) avec un capitalisme d’Etat sous contrôle du Parti Communiste Chinois appelé «économie de marché socialiste» et, de l’autre côté, les Etats-Unis d’Amérique le capitalisme libéral avec une économie contrôlée par les entreprises dénommé « économie du marché». (Paul Jorion, Le capitalisme à l’agonie, Fayard, Paris 2011).
En adhérant à la fois à l’Initiative chinoise «Une Ceinture et une Route» et à la coalition pour la démocratie initiée par les Etats-Unis d’Amérique, la RDC se trouve dans une situation délicate car le régime communiste chinois est considéré comme non libéral par les Etats-Unis se considérant comme une démocratie. Face à cette situation, quelle sera la position de la RDC quant au choix entre ces deux modèles économiques ?

Brève histoire du capitalisme occidental en RDC
Le capitalisme au Congo tire ses origines des actes de la Conférence de Berlin de 1884-1885 où la liberté de commerce fut garantie sur toute l’étendue du pays. Le 1er juillet 1885, le roi Belge Léopold II se proclama président de l’Etat Indépendant du Congo le 1er juillet 1885. (Jean Stengers, Congo, Mythes et réalités, 100 ans d’histoire, Document-Duculot, Bruxelles, 1989). Fin diplomate, le Roi Léopold II présenta l’Association Internationale Africaine comme défenseur de la liberté de commerce et une œuvre humanitaire pour lutter contre l’esclavage. C’est ainsi que le Congo fut reconnu par les Etats Unis d’Amérique, premier pays occidental en 1884, comme un Etat souverain et un gouvernement ami. (Kabasu Babu Katulondi, The Making of the Congo State in the U.S, The U.S.-Congo Project Foundation, Usa, 2012)
Cependant, à la place de la liberté de commerce et de la lutte contre l’esclavage, le Roi de Belges Léopold II institua le monopole commercial et restaura l’esclavage sur le territoire du nouvel Etat. En cette période, le monopole coïncida avec une forte demande mondiale du caoutchouc pour son utilisation dans l’industrie d’automobile. Pour produire d’avantage et satisfaire cette forte demande, l’Etat indépendant du Congo institua le travail forcé occasionna ainsi des massacres, mutilations des mains des populations congolaises et l’imposition de l’impôt. (Arthur Conan Doyle, The Crime of Congo, Hutchinson et Co, London, 1909). Bilan : 10 millions des congolais massacrés par les agents de l’Etat Indépendant du Congo.
Cette tragédie suscita une campagne en Angleterre et aux Usa de la part des journalistes, des écrivains, des universitaires et des églises protestantes qui a convaincu le président américain Theodore Roosevelt des Usa de retirer le soutien de son pays à l’Etat Indépendant du Congo malgré le soutien des puissants lobbies et des médias américains au solde du Roi Léopold II. (Adam Hochschild, King Leopold’s Ghost, A Story of Greed, Terror And Heroism in Colonial Africa, Houghton Mifflin Compagny, New York, 1998)
Après avoir contribué à mettre fin à cette période sombre de l’histoire du capitalisme au Congo, les Etats Unis et l’Europe ont exploité à leur guise les richesses du Congo. C’est grâce à l’uranium du Congo fourni par la Belgique que les USA pour la fabrication de la bombe atomique que les américains sont sortis vainqueurs de la deuxième guerre mondiale en larguant deux bombes sur deux japonaises : Nagasaki et Hiroshima faisant d’eux une superpuissance mondiale.
Après la deuxième guerre mondiale et la décolonisation, le Congo est resté dans le giron du capitalisme occidental dans le contexte de la guerre froide où les multinationales occidentales et l’ancienne puissance coloniale, la Belgique, ont joué le rôle de commissionnaires et des Usa. La décolonisation, écrit Crawford Young, ne consistait pas tant en une rupture de relations, mais plus en une redéfinition qui devait garantir à la métropole son statut d’interlocuteur privilégié et préserver ses intérêts. (Crawford Young, Africa’s colonial heritage, in Stratégies for African Deve-lopment, University of California Press, 1985).
C’est dans le contexte de garantir leurs intérêts économiques que la Belgique et les sociétés coloniales soutinrent la sécession de la riche province du Katanga. Mais, les Etats-Unis s’opposèrent à la création de l’Etat Indépendant du Katanga en mettant fin à la sécession du Katanga. Cet Etat fut jugé non viable dans l’environnement international marqué par la guerre froide avec l’Union Soviétique.
Préoccupés par la guerre froide, les Etats-Unis d’Amérique vont confier le «dossier Congo» à la Belgique, ancienne puissance coloniale devenant ainsi son interlocutrice valable dans le développement du Congo. C’est à ce niveau qu’il faut comprendre en partie le retard en développement économique du Congo et d’autres pays africains noirs par rapport au miracle économique de certains pays asiatiques ayant adopté le modèle économique du capitalisme libéral. (Le miracle de l’Asie de l’Est, croissance économique et politiques publiques, rapport de recherche de la Banque mondiale sur les politiques, Washington, 1993). En Thaïlande par exemple, «les conseillers américains ont joué un rôle important dans le processus d’élaboration des politiques, en particulier dans les trois premiers plans nationaux de développement économique (1961-1976), soutenus par des technocrates tai». (Somboon Siriprachai, Industriali-zationwith a weah state, Thailand’s Development in Historical Perspective, Kyoto University Press, Japan, 2012).
Si en Thaïlande, les Usa ont soutenu les technocrates, au Congo par contre les Américains ont commis des assassinats et des coups d’Etat pour préserver leurs intérêts économiques et géopolitiques. A cet égard, l’assassinat de Patrice- Emery Lumumba en 1961, le coup d’Etat du président Mobutu en 1965 et récemment l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila en 2001 sont les œuvres des services secrets américains.
Par ailleurs, le Congo est toujours considéré comme un réservoir des matières pour les industries occidentales et aujourd’hui chinoises. Ce statut justifie le capitalisme prédateur des multinationales occidentales qui financent des guerres de pillages des minerais congolais par le truchement du Rwanda et de l’Ouganda au lieu de promouvoir un capitalisme libéral qui fut aux origines de la création de l’Etat congolais. (Peer Schouten, Roadblockpolitics, The origins of violence in central Africa, Cambridge, London, 2022).
Si les américains avaient conseillé et protégé les élites congolaises à l’Indépendance en 1960 comme ils l’ont fait dans certains pays asiatiques, le Congo ne serait pas devenu un pays aux richesses naturelles incommensurables avec une population la plus pauvre du monde.
Voilà pourquoi le capitalisme d’Etat chinois séduit les élites congolaises car le seul capitalisme connu par les congolais reste le capitalisme prédateur et néolibéral. (Georges Mpwate-Ndaume, La coopération entre le Congo et les pays capitalistes, un dilemme pour les présidents congolais 1908-2008, L’Harmattant, Paris, 2010). Mais, le capitalisme libéral qui a fait la puissance des Etats-Unis d’Amérique reste une chimère au Congo.
Si vous demandez à la population congolaise de montrer des infrastructures construites par la coopération américaine, elle aura difficile à les identifier. Par contre si la même question est posée par rapport à la Chine, les Congolais vont citer le Boulevard Lumumba, le Stade des Martyrs, le Palais du peuple et le Centre culturel de l’Afrique Central qui sera inauguré en 2023. A cela, il faut ajouter la route de Poids Lourds construite par la coopération japonaise et le Musée national construit par la Corée du Sud.
Ces exemples n’ont pas pour objectif de pousser les Etats-Unis de faire comme la Chine ou le Japon en mobilisant 600 milliards de dollars USD d’investissements privés et publics d’ici 2027 pour financer les infrastructures mondiales. Les congolais attendent des Etats-Unis non seulement un nouveau partenariat autour de la formation des élites dirigeantes dans le domaine de la gestion de l’Etat, la démocratie, l’Etat de droit, la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance, mais aussi et surtout les sanctions contre leurs hommes d’affaires et leurs multinationales à la base des guerres de pillages des minerais et du génocide de 10 millions de congolais. D’ailleurs, tous les rapports des experts sur les pillages des minerais congolais indexant le Rwanda, l’Ouganda et les multinationales occidentales sont jetés dans les tiroirs sur pressions américaines.
Dans ces conditions, contrer l’autocratie en RDC signifie tenir compte de ces réalités contrairement aux ambitions exprimées par l’Administratrice de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid), l’Ambassadrice Samantha Power. «Contrairement à l’approche des gouvernements autocratiques, nous démontrons les avantages potentiels de notre système démocratique lorsque nous fournissons une aide de manière équitable, transparente, inclusive et participative – en renforçant les institutions locales, en employant des travailleurs locaux, en respectant l’environnement et en fournissant des avantages de manière équitable dans une société». (Comment la démocratie peut gagner, la bonne façon de contrer l’autocratie, Foreign Affairs, Mars/Avril 2023 publié le 16 février 2023).
En tout état de cause, il est temps que les élites congolaises prennent leur destin en mains. Quel que soit le modèle économique adopté, quelle que soit la bonne volonté des américains ou des chinois, les dirigeants politiques congolais sont les seuls responsables du développement de leur pays. Par conséquence, ils doivent abandonner la «culture de la cueillette» et la «politique du ventre» pour se mettre au service de leur pays et de leur peuple.
Freddy Mulumba Kabuayi wa Bondo
Politologue