Difficultés d’allumage dans l’enrôlement des électeurs : acculé, Denis Kadima rassure sans convaincre

Dans la première aire opérationnelle qui comprend 10 provinces, dont la ville de Kinshasa, la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) peine à enregistrer les électeurs. Les élections du 20 décembre 2023 apparaissent déjà compromises. Une transition est-elle inévitable et avec quel chef ? Décryptage.

L’enrôlement des électeurs ne se déroulent pas comme prévu dans la première aire opérationnelle qui comprend la ville de Kinshasa et neuf autres provinces. Sur le terrain, la Céni fait face à de graves défis logistiques. Or, dans une semaine, c’est la fin des opérations d’enrôlement dans la première opérationnelle. Sur les antennes de la radio Top Congo FM, Denis Kadima, président de la Céni, a reconnu ces difficultés, sans se démarquer d’un optimisme que l’opinion redouté de plus en plus.

Denis Kadima tente, tant bien que male de se dédouaner : «Nous sommes conscients des problèmes auxquels fait face l’électorat. En principe, pour ce type d’opération à l’échelle nationale, il est toujours préférable de commencer par une phase pilote. Cela signifie que nous prendrions par exemple une province où nous allons inscrire et enrôler la population pendant un mois ou un peu plus. Et durant cette phase pilote, des leçons sont tirées, de telle sorte que tout ce qui a comme problème avec les appareils, sur le plan de la formation, sur le plan du recrutement soient, résolus ainsi quand on va sur le reste du pays, on n’a pas à reproduire le même problème».

Il reconnaît son erreur de n’avoir pas initié une phase pilote, avant de se lancer dans l’enrôlement à grande échelle : «Nous n’avons pas eu le temps de mettre en place une phase pilote. Nous avons commencé d’emblée avec 10 provinces, dont la ville de Kinshasa. Ça veut dire que la CENI a navigué à vue». Avant de relativiser : «Cela ne veut pas dire que nous n’étions pas conscient qu’il y aura ce type de problèmes. Nous le savions, mais évidemment nous ne pouvions pas en connaître l’ampleur. D’ailleurs à ce sujet, je dois remercier l’électorat congolais parce que nous recevons des communications de leur part et ça nous permet de continuer à mieux comprendre les problèmes auxquels ils font face ».

Denis Kadima pense s’améliorer le plus rapidement possible pour que chaque Congolais ait sa carte d’électeur : «Le processus connaît des difficultés que je peux appeler comme des douleurs d’enfantement. Nous tirons des leçons, nous améliorons les choses, nous avons commandé des pièces de rechange pour réparer les machines là où il y a eu des problèmes».

TIRS À BOUT PORTANT SUR KADIMA

Dans certains milieux, on commence à remettre en cause l’expertise de Denis Kadima. «C’est certainement un bon observateur des scrutins, mais un piètre organisateur, en tout cas dans un pays aussi vaste et peu développé que le nôtre», a révélé à La Libre Belgique Luc Malembe, ancien activiste de la Lucha qui a goûté à la prison sous Kabila et sous Tshisekedi pour avoir osé critiquer leur pouvoir, aujourd’hui passé dans le camp de Martin Fayulu.

«Ce n’est pas un scrutin qui se prépare, mais un désordre et un désastre», explique un observateur qui s’est rendu dans différents centres d’inscription à Kinshasa et au Kongo central. Tous les témoignages soulignent «l’amateurisme du processus», selon les termes d’un responsable de la Société civile du Kwilu.

A La Libre Belgique de s’interroger : face à ce qui se dessine comme un échec, que va faire Denis Kadima qui a défié tout un peuple et une batterie d’experts en prétendant pouvoir relever le défi de cette élection éclair ? «Tout le monde attend qu’il prenne une décision. Il doit prolonger la période d’enrôlement, au moins pour la première zone», lâche un expert électoral congolais.

D’autres estiment que la Céni est dans un calcul politique pour privilégier une zone, particulièrement le Centre, totalement acquise au Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi. «On a le sentiment que la Ceni veut privilégier une zone géographique », constate un pasteur.

«La carte du Congo, c’est 60 % à l’Est et 40 % pour le Centre et l’Ouest. Ils vont essayer de renverser la donne en enregistrant différemment », selon Bob Kabamba, politologue et professeur à l’Université de Liège, qui ajoute : «Évidemment, quand il faudra négocier la répartition des sièges au Parlement, ça va coincer. Les pointures de l’Est comme Bahati, Kamerhe, Paluku et autres n’accepteront pas de perdre leur pouvoir, de risquer de ne plus exister politiquement».

«D’autant que cette nouvelle carte électorale ne repose que sur une tricherie de la Ceni », explique un élu du Maniema. «Si on doit vivre un tel scénario, l’Union sacrée de Tshisekedi explosera », renchérit un représentant de la Société civile de l’Ituri, province toujours sous état de siège, «ce sera un échec de plus pour Tshisekedi ».

Un prêtre de Kinshasa, qui se souvient de la mobilisation emmenée par l’Église catholique en 2016 et 2017 à la fin du règne de Joseph Kabila, point du doigt le Chef de l’Etat : «Félix Tshisekedi nous emmène droit dans les troubles».

LE GLISSEMENT N’EST PAS À L’ORDRE DU JOUR

Malgré toutes ces difficultés d’allumage, Denis Kadima exclut toute option de glissement du cycle électoral au-delà du 20 décembre 2023 : «Notre souci d’organiser les élections en cette année n’est plus tellement mis en doute. Si nous voulions glisser, nous aurions eu beaucoup de prétextes pour le faire. D’abord le temps et il y a d’autres facteurs que je ne vais pas évoquer pour ne pas perdre du temps».

Denis Kadima rappelle d’ailleurs que «la CENI a toujours dit que le glissement ne fait pas partie de son vocabulaire.

C’est ce qui explique justement le fait que nous avons supprimé la phase pilote qui devait nous éviter d’exposer au grand jour certaines difficultés d’apprentissage. Nous avons préféré nous exposer pourvue que nous avançons ». Pour Denis Kadima, cette thèse de préparation de glissement «est totalement fausse parce que nous nous battons jour et nuit pour avoir ces élections le 20 décembre de cette année ».

En RDC, où les élections législatives et présidentielle sont prévues le 20 décembre prochain, l’enregistrement des électeurs a commencé le 24 décembre dernier. Cinquante millions d’électeurs devraient pouvoir y participer.

Leur enrôlement, dans un pays sans état civil, relève de la gageure. Denis Kadima a découpé le pays en trois zones.

Approximativement, 16 millions d’électeurs à inscrire dans chacune d’entre elles.

Un mois par zone. «Impossible », avaient prévenu plusieurs spécialistes électoraux.

Econews