La MONUSCO doit-elle partir maintenant ?

Un déchaînement de passions sans précédent s’observe au pays autour de la présence de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC, accusée d’inefficacité, de léthargie, voire de complaisance envers l’ennemi, M23 notamment, et ce, au regard des massacres à n’en point finir qui se perpètreraient sous sa barbe, dans l’Est de la RDC.
La MONUSCO doit DEGAGER, entend-on çà et là, jusque dans les cercles les plus élevés de l’élite intellectuelle et politique congolaise ou de ceux qui en font office.
Le déchaînement des passions est tel que la moindre note discordante est regardée comme un acte de traitrise envers la patrie. Tout simplement. La MONUSCO doit s’en aller…. Elle doit dégager. Un point, un trait. En près de 22 ans de présence en RDC, elle aurait clairement échoué. Et est donc inutile.
Je prends le risque de naviguer à contre-courant. Je sais ce qu’il va m’en coûter, mais, j’use de ma liberté de penser et je refuse de m’aligner derrière cette sorte d’«hystérie collective», à la fois passionnelle et incroyablement émotionnelle. Qu’on se comprenne bien avant d’aller plus loin. Je ne remets pas en cause la pertinence de certaines critiques adressées à la mission des Nations Unies, ni la bonne foi de quelques-uns, parmi les tenants de la thèse qui recommande urgemment son départ. Je dois relever cependant, qu’il y a, aujourd’hui, à mes yeux, plutôt de la surenchère politicienne, doublée d’une manipulation subtile des honnêtes gens par ceux qui ont manifestement des agendas cachés. Qui profitent justement du ras-le-bol et de l’exaspération générale, de la naïveté et la bonne foi de certains, pour tenter une entreprise inédite et inespérée : bouter la MONUSCO hors de la RDC et opérer en toute tranquillité. Loin des regards indiscrets. L’occasion n’a jamais autant fait le larron.
Je crains surtout que, encore une fois, nous ne soyons aveuglés et victimes de notre mentalité atavique qui nous incline à rejeter, systématiquement, nos responsabilités sur les autres… à rechercher toujours la cause de nos malheurs ailleurs que dans notre sein.

Je m’explique
Il faut, pour qu’on se comprenne bien, convenir du postulat suivant : la responsabilité de la MONUSCO, dans la traque des groupes armés, est, en l’espèce, subsidiaire. Principalement, cette besogne relève plutôt de nos forces armées nationales, les FARDC. La MONUSCO est censée plutôt venir en appui à ces dernières. Le fait elle convenablement ? C’est un autre débat. Toujours est-il que la responsabilité première de notre sécurité relève d’abord et avant tout de nos propres forces armées. Et donc, nos premiers comptes, nous devrions les exiger d’abord à nos unités des FARDC, disons à notre gouvernement qui gère celles-ci.
Force est de constater que les congolais n’ont, curieusement, jamais mobilisé autant d’énergie et de passion, comme ils le font pour la MONUSCO, pour interpeller ceux qui, en réalité et en première ligne, sont en charge de leur sécurité. Même pas lorsque des griefs sérieux, précis et documentés, de connexion avec des groupes armés, ont été articulés contre les officiels de l’Etat.
Un bref rappel. Il y a quelques années, il nous en souviendra, la MONUSCO avait suspendu toute « collaboration » avec nos forces armées, les FARDC. Motif tiré de ce qu’un certain nombre d’officiers, nommément identifiés dans un rapport détaillé et circonstancié établi par ses enquêteurs et communiqué aux autorités politiques et étatiques de la RDC, étaient de connivence avec certains groupes armés. La connexion entre les officiers des FARDC (et officiels de l’Etat) incriminés avec ces groupes armés, procédait aussi bien des renseignements (fournis auxdits groupes armés sur les plans et stratégies de l’armée loyaliste) que de leur approvisionnement, par nos officiels, en armes et munitions.
Un business du sang qui a prospéré et prospère encore jusqu’à ce jour battrait son plein. Des noms ont été collés aux visages et transmis à qui de droit. Il était, dès lors, non seulement indécent et immoral d’apporter quelque appui aux troupes dirigées par de tels officiers, mais aussi, suicidaire et criminel de participer aux opérations dont on savait clairement qu’elles étaient vouées au fiasco. Il n’était donc pas question, pour la mission onusienne, de collaborer avec des «taupes» et autres marchands d’armes clairement identifiés dans un rapport extrêmement détaillé et précis. Il nous souviendra qu’au nom d’une prétendue «souveraineté » de la RDC, le Président Joseph Kabila avait fait fi de ces exigences et révélations et maintenu, envers et contre tout, les officiers incriminés, dans les rangs des FARDC et en première ligne au front. Assumant, de ce fait, le risque d’enlisement des conflits et des revers inévitables, voire programmés auxquels s’exposaient nos troupes sur le terrain. Nous en connaissons, TOUS, les conséquences. Ces officiers ont continué à opérer allégrement et à perpétuer leurs business macabres en toute impunité, sous la bénédiction et la protection de la plus haute autorité du pays. Les fameux M23 sont, depuis, montés en puissance.
Voilà qui aurait dû révolter les congolais et déchaîner leur fureur… Je ne me souviens pourtant pas les avoir vus, ne fut-ce qu’un jour, s’indigner contre des révélations aussi graves…. Aucune marche… Aucun sit-in à cet effet. C’étaient, à la limite, pour nos compatriotes, juste des simples faits divers…. Etonnant, n’est-ce-pas ? Même les sanctions dites ciblées prises par l’ONU et certaines puissances occidentales contre ces vendeurs de la mort, n’ont jamais, aussi absurde que cela parait, intéressé les congolais. Au nom d’un pseudo-nationalisme.

Question : Comment et pourquoi avons-nous été si complaisants envers nos propres dirigeants et officiers pour des faits aussi gravissimes ?
On se déchaine contre la MONUSCO avec une rare violence… A croire que c’est elle qui héberge les M23 dans ses camps. Cette manipulation des masses est extrêmement dangereuse en ce qu’elle tend à aligner l’opinion publique sur des options aux conséquences plutôt apocalyptiques, ardemment voulues et défendues par l’ancien régime dont on sait qu’il avait protégé, contre vents et marées, des officiers incriminés et a toujours souhaité – il ne s’en cachait pas – le départ inconditionnel de la MONUSCO. Troublante coïncidence non ?
Raisonnons par l’absurde. Imaginons, un seul instant, que la MONUSCO cède à la pression et se retire totalement de la RDC. Sommes-nous rassurés que les massacres vont s’arrêter ? Que les M23 et autres ADF-NALU auront, comme par bonheur, plus peurs de nos FARDC lorsqu’elles seront restées seules ? Que les « taupes » vont disparaître comme par enchantement ? Sommes-nous prêts à assumer le déchaînement des violences qui se feront désormais sans témoins ?
Il faut se rappeler que les quelques succès remportés, sur le terrain, par les FARDC, l’ont été souvent, si pas grâce, au moins, avec l’appui logistique et stratégique de la MONUSCO. Feu le Colonel MAMADOU NDALA, d’heureuse mémoire, n’avait eu de cesse de le rappeler. Ce héros national a été abattu par des forces obscures, tapies dans nos forces armées (qui connaissaient son déplacement et son itinéraire le jour de son ignoble assassinat), lesquelles ont toujours exigé – tiens ! – le départ de la MONUSCO. Et là, vous leur offrez une aubaine inespérée. Vous faites courir au pays le risque de subir des attaques incontrôlables sans témoins et qui aboutiront à sa réelle dislocation ou balkanisation.
En 1994, au Rwanda, les casques bleus de l’ONU s’étaient retirés peu avant les massacres à grande échelle…. La suite fait partie de notre propre histoire. L’onde de choc se ressent encore aujourd’hui…28 ans après. Y compris et surtout dans notre pays.

Il faut arrêter de jouer avec le feu
Oui, nous devons exiger un peu plus de la MONUSCO….Elle doit, peut-être, réviser ses méthodes et stratégies pour plus d’efficacité, mais ne tombons pas dans le piège des apprentis sorciers et de ceux – suivez mon regard – dont la présence de cette force de l’ONU a toujours été plutôt gênante. Ce pays dont on n’a pas encore, il faut le dire, la maîtrise totale des effectifs (d’une armée) issus des brassages et mixages surréalistes, risquera de basculer dans le vide et la machine onusienne mettra du temps pour revenir… Peut-être qu’elle ne pourra même plus revenir…. C’est exactement ce qui s’est passé en SOMALIE en 1993. Les Casques bleus partis, l’Etat Somalien s’est effondré…Et ne s’est jamais relevé. Et c’est ce qui est recherché par certains politiques qui manipulent et abusent de la bonne foi de la masse.
Je voudrais que vous enregistriez cette chronique et on en reparlera si jamais votre souhait de voir la MONUSCO partir se réalise. Au moins, je serai l’un des rares (comme W. CHURCHILL en 1938 face à N. CHAMBERLAIN au sujet de l’attitude à adopter contre Hitler) à vous avoir prévenu….. J’écris cette chronique pour que personne n’en prétexte ignorance…
Martin Kabuya Mulamba-Kabitanga