Le «péril Mwangachuchu» : l’arbre qui cache la forêt

L’affaire «Mwangachuchu», du nom de l’élu de Masisi, dans la province du Nord-Kivu, est entourée d’un grand mystère. Interpellé par la justice militaire, son procès est finalement fixé pour ce mardi 21 mars 2023 à la Haute Cour militaire. Edouard Mwangachuchu est un gros poisson, finalement tombé dans les mailles de la justice. Dans sa résidence de Kinshasa, dans la commune de la Gombe, les enquêteurs de la justice militaire ont eu droit à une série de découvertes macabres. Tout comme dans le Nord-Kivu, spécialement dans la concession de son entreprise minière, dénommée Société minière de Bisunzu (SMB). Là aussi, c’est une artillerie lourde qui est sortie des terres. Mwangachuchu intrigue. C’est l’élément central d’un puzzle que la Haute Cour militaire tentera de reconstituer pour comprendre ce qui se trame derrière l’élu de Masisi et son géant du coltan, la SMB. Après le procès, dit de 100 jours, toute la République est suspendue à un autre, toute aussi énigmatique, «l’affaire Mwangachuchu».
Tout est parti de deux vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux aux derniers jours du mois de février. L’on y voit des groupes de jeunes qui se présentent comme des patriotes sortir des armes de guerre de deux caches dissimulées dans la concession de la société SMB, appartenant au député national Edouard Mwangachuchu, élu CNDP du territoire de Masisi (Nord-Kivu).
Eparpillés sur le terrain de la concession et cachés dans des excavations pratiquées dans le sol, ou emballées dans de vieux tonneaux à l’apparence faussement innocente, des fusils AK-47, des lance-roquettes RPG7 et des pains d’explosifs C4avaient été cachés par le M23 et l’armée rwandaise lors de la contre-attaque des FARDC deux semaines plus tôt. Dans l’espoir de les déterrer le moment venu.
La société SMB est installée à Rubaya, territoire considéré comme «la capitale mondiale» du coltan. Selon des experts en la matière, Rubaya abriterait pas moins de 75% des réserves mondiales de ce minerai stratégique fort recherché pas les fabricants de téléphones mobiles, d’ordinateurs et par les majors occidentaux et asiatiques de l’industrie de l’armement.
La perquisition menée par la justice militaire le 1er mars 2023 à son domicile de la commune de Ngaliema à Kinshasa a permis de corroborer la dangerosité d’Edouard Mwangachuchu, confirmant sa connexion indubitable avec le pouvoir de Kigali. Des armes et munitions de guerre y ont été saisies, de même que des documents compromettants et du matériel audiovisuel de pointe dont la destination ne laisse place à aucun doute : la résidence du sieur Mwangachuchu était bel et bien la base avancée de la déstabilisation des institutions de la République et de la connivence avec des puissances étrangères.
Son procès s’est ouvert le 3 mars devant la Haute Cour militaire à Kinshasa où il comparaît avec son épouse Umubera Mukangabera Mwangachuchu. Il est poursuivi des chefs de trahison, d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de détention d’armes et de munitions de guerre, d’association de malfaiteurs, de participation à un mouvement insurrectionnel et d’incitation de militaires à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline.
Un parcours atypique
Comme la plupart des jeunes Tutsi et bien d’autres, Edouard Mwangachuchu se lance, dans sa jeunesse, dans l’exploitation artisanale et à la limite de légalité du coltan exporté en contrebande vers le Rwanda. Il faut dire que l’homme est parvenu à se tisser un réseau solide au sein des instances du pouvoir dans la capitale rwandaise. A telle enseigne qu’il figure en 1998 parmi les membres cofondateurs de la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD/Goma) d’obédience rwandaise.
Il réussit dans la foulée, sous l’administration du RCD des provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et d’une partie de la Tshopo, à arracher les droits miniers sur la plus grande partie des gisements de coltan du territoire de Rubaya. Au cours des trois ans de l’administration RCD/Goma (1998-2001), des investisseurs du monde entier affluent vers Rubaya où Mwangachuchu, devenu un homme puissant, négocie avec des Chinois, Coréens, Français, Allemands, Américains, etc. Tous friands de terres rares dont regorge cette partie du territoire de Masisi.

Le «magnat mondial du coltan»
Mais c’est une entreprise chinoise, non autrement identifiée, qui rafle la mise, et finance l’usine de traitement du coltan de la société SMB appartenant au nouveau «magnat du coltan», se dit-on dans les milieux spécialisés. Des installations gigantesques à la technologie de pointe dont le produit, exporté via le Rwanda, a fait de ce pays le premier exportateur de ce minerai dont pourtant son sol est dépourvu. Détail important : la sécurité de l’usine de Rubaya est assurée par des forces spéciales rwandaises et le personnel (environ 3500 ouvriers et cadres) est entièrement constitué de Tutsi recrutés au Rwanda.
Bénéficiaire de l’amnistie pour faits de guerre à la suite des négociations politiques de Sun City (2002-2003), il se fait élire député national dans le dessein de conforter son ancrage et sa mainmise sur les gisements de coltan du Nord-Kivu, en connexion étroite avec le leadership rwandais.
Ses affaires ne pouvant prospérer que dans un environnement délétère hors l’autorité de Kinshasa, il est président du CNDP, une énième rébellion qui s’empare brièvement de Bukavu en juin 2009 sous le commandement de Laurent Nkunda et du colonel Jules Mutebusi. On le retrouve, trois ans plus tard, à la tête du M23 (A) jusqu’à la défaite des hommes de Sultani Makenga en 2013 et la résurgence du M23 (B) au second semestre de 2021.
D’une grande discrétion, Mwangachuchu a toujours excellé dans le rôle de tireur de ficelles dans l’ombre, son nom n’apparaissant jamais dans les tractations politiques. Mais il est apparu depuis que c’est le véritable homme orchestre de l’entreprise de déstabilisation de l’Est de la RDC, servant de courroie de transmission avec le régime de Paul Kagamé.

Econews

Suspension de toutes exportations et activités minières de la SMB

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