Les « Pandora Papers », ou la boîte de Pandore fiscale de 336 dirigeants politiques

Après les Panama Papers, voici les «Pandora Papers ». Plusieurs dirigeants, dont le Premier ministre tchèque, le roi de Jordanie ou les présidents du Kenya et d’Équateur, ont dissimulé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment à des fins d’évasion fiscale, selon une enquête publiée dimanche par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). L’enquête, baptisée « Pandora Papers», à laquelle ont collaboré environ 600 journalistes, s’appuie sur quelque 11,9 millions de documents, qui proviennent de 14 sociétés de services financiers, et a mis au jour plus de 29.000 sociétés offshores. «Les révélations de l’ICIJ rappellent que, s’il existe des paradis fiscaux partout dans le monde, un nombre restreint de territoires représentent des nœuds incontournables. Il faut les attaquer en priorité. Et l’Europe devrait commencer par balayer devant sa porte », note le site spécialisé français « Alternatives économiques ».

Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ, en anglais) travaillait depuis un an sur ces informations : pas moins de 11 millions de documents, provenant de quatorze cabinets financiers, basés dans des paradis fiscaux comme le Panama, les îles Vierges, Dubaï… Et concernant plus de 29.000 sociétés offshores. L’enquête est baptisée «Pandora Papers», en référence à la boîte de Pandore.

Six cents journalistes ont ainsi épluché ces documents transmis par une source anonyme. L’analyse faite montre, explique le quotidien français Le Monde, que de nouveaux paradis fiscaux ont pris le relais au fur et à mesure des précédentes révélations de ce type qui ont forcé certains établissements ou Etats à la transparence.

Et ces paradis fiscaux profitent à des centaines de décideurs politiques, dont le Premier ministre tchèque, le roi de Jordanie ou les présidents du Kenya et de l’Equateur.

Des politiques et des célébrités

Selon ces documents, le roi Abdallah II de Jordanie a, par exemple, créé au moins une trentaine de sociétés offshore, c’est-à-dire dans des pays ou territoires à fiscalité avantageuse.

Par le biais de ces entités, il a acheté quatorze propriétés de luxe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, pour plus de 106 millions de dollars US. L’ambassade de Jordanie à Washington s’est refusée à tout commentaire mais des avocats du roi, cités par la BBC, ont assuré qu’il avait utilisé sa fortune personnelle et a eu recours à des sociétés offshore pour des raisons de sécurité et de discrétion.

Dans un communiqué publié à Amman, le palais royal a reconnu que Abdallah II possédait des propriétés aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais affirmé qu’elles avaient été financées « personnellement » par le monarque.

«Certaines informations de presse publiées sur les biens immobiliers du roi sont inexactes, déformées et exagérées», a indiqué le palais royal. «La publication par certains médias des adresses de ces appartements et résidences constitue […] une menace pour la sécurité du roi et des membres de sa famille », a ajouté le communiqué.

Quant au Premier ministre tchèque, Andrej Babis, il a placé 22 millions de dollars dans des sociétés écran qui ont servi à financer l’achat du château Bigaud, une grande propriété située à Mougins, dans le sud de la France.

«Je n’ai jamais rien fait d’illégal ou de mal », a réagi Andrej Babis sur son compte Twitter, « mais cela ne les empêche pas d’essayer de me dénigrer et d’influencer les élections législatives tchèques », prévues vendredi et samedi prochains. Le Premier ministre doit cependant répondre aux interrogations de plus en plus nombreuses des journalistes tchèques.

Le président équatorien, Guillermo Lasso, un ancien banquier, a, lui, logé des fonds dans deux trusts dont le siège se trouve aux Etats-Unis, dans le Dakota du Sud, selon l’ICIJ qui épingle également les présidents du Chili et de République dominicaine. Mais le dirigeant réfute ces accusations, affirmant avoir payé des impôts en Equateur pour tous ses revenus.

Egalement cité, l’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a fait transiter plusieurs millions de dollars US d’honoraires de conseil à des entreprises par une société marocaine exe-mpte d’impôts, selon les documents examinés par l’ICIJ.

Après le scandale du Sofitel de New York, l’ancien directeur général du FMI (2007-2011) est devenu conférencier et consultant international. Ses clients : des oligarques, des entreprises ou des chefs d’Etat pas toujours recommandables. Une activité qui rapporte gros.

Evincé du paysage politique français et contraint d’abandonner la tête du FMI après l’affaire Nafissatou Diallo, Dominique Strauss-Kahn a fondé la société de conseil Parnasse International, en 2013, au Maroc.

Par l’intermédiaire de cette structure domiciliée au Maroc sous la forme juridique de société à responsabilité limitée à associé unique (SARL AU), le rival de François Hollande à l’investiture socialiste pour la présidentielle de 2012 a ainsi exposé ses prédictions d’économiste chevronné à plusieurs dirigeants africains.

«Il est devenu un VRP de luxe pour certains États africains dans leurs négociations avec leurs créanciers internationaux », expliquait Forbes Afrique en 2019.

Un business rentable, puisque rien qu’entre 2013 et 2018, selon L’Obs, DSK, unique actionnaire et unique employé de Parnasse International, aurait engrangé plus de 21 millions d’euros de bénéfices et aurait été mesure de se verser plus de 5,3 millions d’euros de revenus.

Ultime précision : le Maroc a longtemps offert une exonération fiscale de 5 ans, puis un abattement de 50%, aux sociétés venant s’installer dans ses zones franches, telles Casablanca. Depuis février 2021, le royaume, ayant mis fin à ses juridictions non coopératives, ne fait plus partie de la liste grise européenne des paradis fiscaux.

Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites. Mais dans le cas des dirigeants, l’ICIJ met en parallèle le discours anticorruption tenu par certains d’entre eux avec leurs placements dans des paradis fiscaux.

Parmi les personnalités exposées se trouvent aussi la chanteuse colombienne Shakira, le mannequin allemand Claudia Schiffer ou la légende indienne du cricket Sachin Tendulkar.

Responsables politiques et double discours

Au total, des liens ont été établis par l’ICIJ entre des actifs offshore et 336 dirigeants et responsables politiques de premier plan, qui ont créé près de 1000 sociétés, dont plus des deux tiers aux îles Vierges britanniques.

«Cela démontre que les gens qui pourraient mettre fin au secret de l’offshore, en finir avec ce qui s’y passe, en tirent eux-mêmes profit », a commenté le directeur de l’ICIJ, Gerard Ryle, dans une vidéo publiée dimanche.

Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites. Mais dans le cas des dirigeants, l’ICIJ met en parallèle le discours anti-corruption tenu par certains d’entre eux avec leurs placements dans des paradis fiscaux.

Aux Pays-Bas, c’est le ministre des Finances, WopkeHoekstra qui est mis en cause. L’homme est pourtant chargé de lutter contre l’évasion fiscale… Il est aujourd’hui accusé d’avoir investi dans une société écran aux îles Vierges britanniques.

Moralité vs légalité?

«Je dois reconnaître qu’il y a une forme de lassitude qui s’installe », nous explique Xavier Counasse, qui a participé à cette large enquête pour le quotidien Le Soir. «J’ai commencé au moment des +Lux Leaks+ et cela fait un moment qu’on tourne dans cette même casserole et qu’on trouve systématiquement des révélations, des fichiers, des documents. Mais je pense qu’on n’a pas le droit de se lasser, car derrière ça il y a des vraies questions de justice fiscale et d’égalité entre les contribuables».

Le journaliste insiste par ailleurs sur le fait que l’objet de ces enquêtes n’est pas d’opposer morale et légalité. Dans ces paradis fiscaux, on retrouve aussi «des grands criminels, des grands cartels de la drogue, des gens qui ont déjà été condamnés une fois pour fraude […] c’est aussi ça et donc c’est beaucoup trop simple de résumer le propos en disant que c’est de l’optimisation fiscale et que c’est légal ».

«Nous sommes journalistes, pas juges : on décrit les faits, et chacun fait son travail. Mais si fraude il y a, je voudrais rappeler que les Panama Papers, c’est 269 enquêtes fiscales ouvertes en Belgique. Et s’il n’y avait que des cas légaux, le fisc ne récupérerait rien, alors que, depuis 2013, le fisc a récupéré 635 millions d’euros, uniquement sur les documents que nous avons révélés ».

Et les choses bougent, estime le journaliste, qui cite par exemple la taxe Caïman, en Belgique, ou bien les réglementations qui obligent, dans plusieurs pays, à dévoiler les véritables bénéficiaires des sociétés basées à l’étranger.

Qu’est-ce que le Consortium international des journalistes d’investigation ?

Créé en 1997 par le Centre américain pour l’intégrité publique, l’ICIJ est devenu une entité indépendante en 2017.

Son réseau compte des journalistes d’investigation dans plus de 100 pays et territoires, ainsi que quelque 100 médias partenaires.

L’ICIJ s’est fait connaître, début avril 2016, avec la publication des «Panama Papers», une enquête appuyée sur quelque 11,5 millions de documents provenant d’un cabinet d’avocats panaméen. Ils détaillaient les avoirs cachés de milliers de clients de Mossack Fonseca, dont des personnalités de premier plan.

L’onde de choc qu’a provoquée cette publication a notamment entraîné la démission du Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson et du chef du gouvernement du Pakistan, Nawaz Sharif.

Depuis 2013 et la publication des «Offshore Leaks », déjà par l’ICIJ, de nombreuses enquêtes journalistiques coordonnées ont révélé les noms d’entreprises, dirigeants ou personnalités ayant recours à des montages financiers opaques, notamment les « LuxLeaks » (2014) ou les « Paradise Papers » (2017) qui évoquaient le prince Charles, le champion de Formule 1 Lewis Hamilton ou le groupe Nike.

Les principales personnalités africaines épinglées

Les quelque 12 millions de documents confidentiels sur les paradis fiscaux dévoilés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dimanche 3 octobre, comptent plusieurs noms de dirigeants africains, dont certains encore en exercice. Focus sur les personnalités recensées les plus marquantes du continent.

L’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation, divulguée dimanche 3 octobre, répertorie près de 50 politiciens et officiels africains issus de 18 pays, comme étant détenteurs de sociétés offshores. Parmi eux, trois présidents et un Premier ministre en exercice.

Les données fournies indiquent que le président gabonais contrôlait, avec deux associés politiques, une société écran domiciliée aux Iles Vierges britanniques (IVB), prénommée Gazeebo Investments Ltd.

D’après un courriel, daté de 2008, d’un procureur de Miami, qui a chargé des avocats du cabinet de services offshore, Trident Trust, d’incorporer la société, M. Bongo en était l’actionnaire majoritaire.

Les autres actionnaires étaient Jean-Pierre Oyiba, directeur de cabinet présidentiel jusqu’à sa démission en 2009, et Claude Sezalory, originaire de France et marié à Sylvia Bongo Ondimba avant son union avec Ali Bongo en 1989.

Ali Bongo était également le directeur d’une autre société écran aux IVB, Cresthill Worldwide Ltd. L’une comme l’autre ne sont plus actives aujour-d’hui tandis que leur raison d’être n’est pas connue.

Le président kényan, Uhuru Kenyatta, a aussi maintes fois affirmé sa détermination à lutter contre la corruption dans son pays et à obliger les officiels kényans à la transparence quant à leur patrimoine. Pourtant, selon le volet des «Pandora Papers » qui lui est consacré, le chef de l’Etat kényan possède une fondation au Panama, et plusieurs membres de sa famille directe possèdent plus de 30 millions de dollars US logés dans des comptes offshore.

Sa mère et ses frères et sœurs disposent d’au moins six autres «business offhsore» et fondations enregistrés au Panama et aux IVB. La plupart de ces compagnies familiales ont été créées avant l’investiture de M. Kenyatta, précise les documents, bien que certaines soient restées actives après son élection. Les actifs, l’équivalent de 30 millions de dollars, sont placés au Royaume-Uni et à Hong Kong.

Le président congolais, selon les « Pandora Papers », détenait une société, nommée Inter African Investment Ltd., contrôlant des mines de diamant. Celle-ci a été enregistrée aux IVB en 1998, durant le second mandat de l’intéressé à la tête du Congo.

Inter African Investment détenait un compte auprès de la succursale londonienne de la banque Espirito Santo et était également à la tête d’une autre compagnie aux IVB, Ecoplan Finance Ltd. Julienne, l’une des filles de M. Sassou Nguesso, a siégé au conseil d’administration d’Ecoplan.

Cette dernière possédait la majorité des actions d’Escom Congo, une entreprise de construction et d’immobiliers disposant des droits sur les mines de diamant dans le pays. Selon le cabinet panaméen Algocal, Ecoplan n’est plus active depuis 2018.

En 1998, alors conseiller du ministre ivoirien de l’Energie, il devient propriétaire de Allstar Consul-tancy Services Ltd., une société basée aux Bahamas. Via un accord de fiducie, l’actuel premier ministre de la Côte d’Ivoire, depuis sa nomination en mars 2021, obtient de ne pas voir afficher son nom sur les documents officiels. 

M. Achi a fondé sa société en 2006, par l’intermédiaire d’un spécialiste de l’offshore basé à Londres, avant de transférer sa gestion à Alcogal.

Fils de feu Idriss DébyItno, plus jeune demi-frère de l’actuel président, Mahamat Idriss Déby, Zakaria Idriss Déby Itno possédait des actions dans Odian Consulting Ltd., une société des Seychelles, créée en 2008.

Les deux autres actionnaires n’étaient autre que son cousin, Yosko Youssouf Boy, et David Abtour, un présumé trafiquant d’armes. Ce dernier a été marié à une sœur d’une ex-femme d’Idriss Déby. Le registre seychellois n’indique pas le statut de la société.

D’autres noms connus sur le continent ou dans leurs pays respectifs figurent également dans l’inventaire mis au jour par le Consortium.

Parmi eux, entre autres, la princesse marocaine Lalla Hasnaa, plus jeune sœur du roi Mohammed VI, l’ancien ministre tunisien et chef du parti MachrouTounès, Mohzen Marzouk, l’ex-Premier ministre mozambiquais Aires Ali, ou encore le ministre de la Sécurité ougandais, Jim Muhwezi.

Econews avec Rtbf.be