Tribune de Dr John Mususa Ulimwengu

Denis Kadima, président de la Céni, est déterminé à relever le défi de décembre 2023

La RDC et les enjeux des élections de 2023 : survira-t-elle à un autre cycle d’élections bâclées ?
Le concept de démocratie, dans sa forme la plus simple, peut être défini à l’aide des deux mots grecs demos (peuple) et kratos (gouvernement) qui se combinent pour former le mot démocratie, qui signifie «gouverner par les personnes». C’est l’idée classique de la démocratie.
Beetham considère ce concept comme un «mode de prise de décision concernant des règles et des politiques collectivement contraignantes sur lesquelles le peuple exerce un contrôle, et l’arrangement le plus démocratique être celui où tous les membres de la collectivité jouissent de droits égaux effectifs pour participer directement à cette prise de décision – c’est-à-dire qui réalise au plus haut degré concevable les principes du contrôle populaire et de l’égalité dans son exercice… ». Ainsi, la démocratisation est un processus de changement politique qui déplace le système politique d’une société donnée vers un système de gouvernement qui assure une participation politique compétitive et pacifique dans un environnement qui garantit les libertés politiques et civiles de tous.

La démocratie aide-t-elle le développement ?
C’est l’une des questions les plus fréquemment soulevées dans les discussions sur la démocratie et le développement. Si c’est le cas, le développement contribuera à son tour à soutenir la démocratie. Les deux vont se renforcer mutuellement. À première vue, cela semble être une question simple.
Cependant, le lien entre la démocratie et le développement est plutôt compliqué pour deux raisons. Premièrement, le concept de gouvernance et sa relation avec le développement sont entrés dans le débat. Deuxièmement, le sens du développement lui-même a subi une transformation. Ainsi, ces deux concepts doivent être clarifiés avant que nous puissions tenter de répondre à la question de savoir si la démocratie favorise le développement. Le concept de gouvernance a été utilisé dans la littérature dans deux sens, l’un étroit et l’autre large.
La Banque mondiale, par exemple, qui l’utilise au sens étroit, définit la bonne gouvernance comme une «bonne gestion du développement» englobant la gestion du secteur public, la responsabilité, le cadre juridique du développement, l’information et la transparence. (Banque mondiale 1992:2). La définition au sens plus large du terme gouvernance fait référence au «bon gouvernement de la société» (Boeninger 1992 : 267) : «La gestion impartiale et transparente des affaires publiques par la génération d’un régime (ensemble de règles) accepté comme constituant l’autorité légitime, dans le but de promouvoir et de valoriser les aspirations sociétales recherchées par les individus et les groupes».
Ces définitions plus larges de la gouvernance impliquent généralement la légitimité de l’autorité, la réactivité et la responsabilité publiques du gouvernement. Ces conditions ne peuvent être remplies que par un régime démocratique. Ainsi, la bonne gouvernance signifie la gouvernance démocratique. En ce sens, il n’y a pas de différence entre les questions «la démocratie aide-t-elle le développement?» et «la bonne gouvernance aide-t-elle le développement? » Cependant, la bonne gouvernance au sens le plus étroit (Banque mondiale) pourrait exister même dans des régimes non démocratiques.

La démocratie contribue-t-elle au développement ?
Au niveau théorique, deux thèses s’opposent. Ceux qui croient que la démocratie n’aide pas au développement soulignent ce qui suit.
Premièrement, la démocratie encourage les clivages ethniques et autres et crée une instabilité qui compromet le développement. Deuxièmement, les élites politiques réagissent aux groupes de pression qui provoquent des distorsions dans l’allocation des ressources. Troisièmement, la démocratie fait pression sur les dirigeants pour qu’ils redistribuent avant la croissance.
Ce qu’il faut pour le développement, c’est plus d’épargne et moins de consommation. C’est plus facile à réaliser sous un régime autoritaire qui peut prendre des décisions impopulaires. De l’autre côté se tiennent ceux qui appartiennent à l’école de compatibilité. Ils soutiennent que la démocratie promeut les droits civils et politiques, les droits de propriété, la libre circulation de l’information et l’État de droit, qui sont tous considérés comme des conditions préalables au développement.
Un article (Democracy Does Cause Growth), co-écrit par un économiste du MIT, montre qu’en matière de croissance, la démocratie augmente considérablement les chances de développement. En effet, les pays passant à un régime démocratique connaissent une augmentation de 20 % de leur PIB sur une période de 25 ans, par rapport à ce qui se serait passé s’ils étaient restés des États autoritaires, rapportent les chercheurs.
«Je ne trouve pas surprenant que cela ait un grand effet, car c’est un grand événement, et les non-démocraties, les dictatures, sont un gâchis à bien des égards», déclare Daron Acemoglu, économiste au MIT et co-auteur de l’étude.
Dans l’ensemble, note Acemoglu, les démocraties emploient des investissements à large assise, en particulier dans la santé et le capital humain, qui font défaut dans les États autoritaires. «De nombreuses réformes qui favorisent la croissance se débarrassent des faveurs spéciales que les régimes non démocratiques ont accordées à leurs copains. Les démocraties sont beaucoup plus réformatrices», dit-il.

Situation particulière de la RDC
Venons-en la République Démocratique du Congo (RDC) ! Selon le Secrétaire d’Etat Américain, Anthony Blinken, les autorités congolaises, particulièrement le Président de la République et le Président de la CENI, lui auraient assuré que les élections auront bel et bien lieu l’année prochaine comme prévu par la constitution. Certes, après 60 ans d’indépendance, le pays ne devra pas continuellement rassurer le reste du monde que finalement il va se comporter comme un pays normal, mais une telle nouvelle doit permettre aux uns et aux autres de mettre un peu d’optimisme par rapport ce qui va se passer l’année prochaine.
Evidemment, les élections en elles-mêmes ne vont pas sauver la RDC du trou profond dans lequel elle se trouve. Toutefois, lorsqu’elles sont bien exécutées, les élections peuvent servir de mécanismes pour sanctionner les mauvais dirigeants et rémunérer les meilleurs parmi eux. En effet, quelque que soit le pays, lorsqu’il n’existe pas de coût politique à l’action publique, il n’y a aucune incitation à exceller. C’est la nature humaine; la peur de la sanction, quelle que soit sa nature, conduit l’homme à la discipline et à produire le meilleur de lui-même.
Le problème de la RDC est qu’elle est ancrée dans un cycle d’illégitimité institutionnelle depuis le départ du Président Mobutu. En somme, le pays connaît plusieurs cohortes des dirigeants sans aucune légitimité de la part du souverain primaire qu’est le peuple. La conséquence est que la majorité d’entre eux n’a jamais eu à diriger sous la crainte d’une sanction politique en cas de mauvaise gestion.

Le congolais a même inventé le terme des «élus-nommés» pour dire à quel point c’est ancré même dans les mœurs populaires.
Malheureusement, dans un tel environnement ce sont les médiocres qui prospèrent. Et souvent la tendance de ces messieurs et dames est d’utiliser les ressources publiques pour leur gratification personnelle. En général, cette catégorie des gouvernants arrive au sommet des institutions du pays sans jamais rien n’avoir accompli de particulier sur le plan social et professionnel.
La conséquence est que la persistance de cette catégorie des dirigeants, quelques soient les slogans de développement qu’ils mettent sur leurs pancartes, ne permettra jamais à un pays de progresser en tant que communauté. Compte tenu de la modicité des ressources, son allocation sera toujours biaisée en faveur de la fonction du bien-être des dirigeants qui est souvent (consciemment ou inconsciemment) confondue à la fonction du bien-être de l’ensemble de la société.

Interpellation de la classe au pouvoir
Nous pensons que le Président de la République a ici une opportunité de donner au pays une chance de se relancer sur des bonnes bases. En quoi le Président Felix peut-il aider le pays par rapport aux élections de 2023? En arrêtant le cycle d’illégitimité institutionnelle qui ne produira jamais rien de bon pour ce grand pays à cause des raisons évoquées ci-dessous.
Evidemment ceci veut dire que le Président devrait se dégager l’esprit selon lequel «celui qui organise les élections ne doit pas les perdre». La grandeur d’un homme politique c’est aussi cette capacité d’initier une action qui est bonne pour la communauté même si lui-même peut ne pas en bénéficier.
En mettant en place un système électoral complètement transparent, en arrêtant le harcèlement judiciaire de ceux qui se présentent comme ses challengers potentiels, qu’il perde ou gagne, non seulement il en sortira grandi, mais il donnera au pays une chance de repartir sur des bases plus solides. En effet, le Président a l’opportunité non seulement de permettre aux meilleurs des congolais de competir pour servir leur pays mais aussi de créer une classe politique à laquelle la société se reconnaît mais aussi qui se sentira redevable de cette même société. Bien plus, le retour d’un tel environnement institutionnel donnera au pays les bases pour remettre les valeurs morales, intellectuelles, culturelles, éthiques, nécessaires pour transformer les vastes ressources naturelles en opportunités de développement.
Il évidemment, même s’il le veut, le Président fera face à une farouche opposition de ceux – y compris dans son propre camp – qui ne peuvent pas prospérer dans un environnement politique sain et transparent. C’est aussi sa capacité de leader qui sera mise à l’épreuve. Qu’à cela ne tienne, la manière dont ces élections vont se dérouler fera partie désormais de son héritage politique. C’est aussi ici le lieu d’interpeller les églises qui soutiennent le Président. Peuvent-elles l’aider, suivant les principes chrétiens qu’elles sont censées promouvoir, à éviter un autre cycle de tricheries qui va perpétuer l’illégitimité institutionnelle qui ne peut bénéficier qu’à un petit groupe d’individus mais laisser la majorité des congolais dans la misère.
En quoi la nouvelle innovation congolaise d’«offense au Chef de l’Etat» sert-elle le Président de la République par rapport à ce qui est attendu de lui par plus de 100 millions de personnes? Ça rappelle plutôt la sombre époque du deuxième empereur Romain, Tibère, qui organisait, avec la complicité du Senat (Hélas, le Senat), les fameux procès pour trahison.
En effet, autour de 30 avant Christ, il avait initié une série de procès de purge de sénateurs et de riches cavaliers dans la ville de Rome, supprimant ceux capables de s’opposer à son pouvoir. Ces procès ont définitivement endommagé l’image et la réputation de Tibère. Lui, qui se réclame de la foi chrétienne, devrait plutôt prendre exemple sur le Roi David qui a résisté à la pression de ses serviteurs le conseillant de couper la tête de Shimei qui l’insultait en public.
2 Samuel 16:5-12 : «David était arrivé jusqu’à Bachurim. Et voici, il sortit de là un homme de la famille et de la maison de Saül, nommé Schimeï, fils de Guéra. Il s’avança en prononçant des malédictions, et il jeta des pierres à David et à tous les serviteurs du roi David, tandis que tout le peuple et tous les hommes vaillants étaient à la droite et à la gauche du roi. Schimeï parlait ainsi en le maudissant : Va-t’en, va-t’en, homme de sang, méchant homme! L’Eternel fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül, dont tu occupais le trône, et l’Eternel a livré le royaume entre les mains d’Absalom, ton fils; et te voilà malheureux comme tu le mérites, car tu es un homme de sang! Alors Abischaï, fils de Tseruja, dit au roi : Pourquoi ce chien mort maudit-il le roi mon seigneur? Laisse-moi, je te prie, aller lui couper la tête. Mais le roi dit: Qu’ai-je affaire avec vous, fils de Tseruja? S’il maudit, c’est que l’Eternel lui a dit: Maudis David! Qui donc lui dira: Pourquoi agis-tu ainsi? Et David dit à Abischaï et à tous ses serviteurs : Voici, mon fils, qui est sorti de mes entrailles, en veut à ma vie; à plus forte raison ce Benjamite! Laissez-le, et qu’il maudisse, car l’Eternel le lui a dit. Peut-être l’Eternel regardera-t-il mon affliction, et me fera-t-il du bien en retour des malédictions d’aujourd’hui ».

Mot de la fin
Le scepticisme quant à la performance des institutions démocratiques est aussi ancien que la démocratie elle-même. Platon (1908, 564) a dénigré la démocratie comme la deuxième pire forme de gouvernement après la tyrannie, arguant que «dans la démocratie, ils [la classe des dépensiers oisifs] sont presque les tenants de tout le pouvoir». Aristote (1912, 86) pensait de même qu’«il n’est pas indiqué de leur confier [la majorité du peuple] les charges de l’État, à cause de leur iniquité et de leur ignorance; de l’un, ils feront le mal, de l’autre, ils se tromperont». Cependant, les résultats d’études empiriques récentes suggèrent que la démocratie est plus propice à la croissance économique que ne le prétendent ses détracteurs et qu’il existe de nombreuses complémentarités entre les institutions démocratiques et les causes immédiates du développement économique.
Comme le disait Einstein, l’idiot est celui qui fait la même chose chaque jour tout en espérant des résultats différents. Malheureusement le peuple congolais semble remplir ce profil. En effet, il n’est pas normal que le peuple congolais continue à dépenser des millions de dollars pour des élections qui produisent à chaque fois un system institutionnel et un personnel politique de qualité plutôt médiocre. Si c’était un investisseur privé, il aurait déjà perdu son travail. Sur ce, nous espérons que ceux qui sont au pouvoir vont éviter à la RDC un autre cycle d’élections bâclées en 2023.
Dr John Mususa Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). Ses domaines de recherche incluent la dynamique de la pauvreté, la croissance économique et le développement rural.