Ce que je pense (Tribune de Matata Ponyo Mapon) : les professeurs d’université et la politique

Ce que je pense est qu’enseigner à l’université est un métier différent de celui de faire de la politique. Un professeur est chargé d’enseigner notamment à l’université, haut lieu de savoir et de la connaissance. C’est un spécialiste dans un domaine précis dont il est supposé avoir la parfaite maîtrise. Généralement, c’est quelqu’un qui a obtenu un diplôme de doctorat après quelques années d’études post universitaires.

En principe, au-delà de sa charge horaire à l’université, il fait des recherches dont les résultats sont publiés pour garantir le progrès de l’humanité. Un politique, quant à lui, fait de la gestion de la cité son métier principal. Il peut œuvrer à la Présidence, au Gouvernement, au Parlement ou dans la territoriale. Il travaille pour l’amélioration des conditions de vie de la population au travers la mise en œuvre de plusieurs projets. Il a donc l’obligation des résultats au profit de l’ensemble du pays. Le politique est différent du politicard, ou «politicailleur». Ce dernier est souvent intrigant et recourt aux tactiques visant à prioriser ses desseins personnels par rapport à ceux de la communauté.

Ce que je pense est qu’un professeur d’université peut être un bon enseignant sans être un bon politique. En effet, enseigner c’est transmettre la connaissance aux étudiants. Il suffit de bien maitriser son domaine, bien préparer sa leçon et bien transmettre la matière pour bien accomplir sa mission à la grande satisfaction des apprenants. Cela suffit-il pour être un bon politique ? Pas nécessairement ! Parce que le domaine de l’enseignement reste essentiellement celui de la théorie, de la recherche, de discussions et débats. C’est un environnement où les pesanteurs en termes de restriction de liberté de pensée et d’expression n’existent quasiment pas. La politique, par contre, relève du domaine du concret ou de la pratique. C’est le lieu par excellence de l’application des connaissances produites par l’université ou de la mise en œuvre de fruits de la recherche, tous deux le creuset de la science. C’est un milieu d’expression de contradictions et de pesanteurs de toute nature qui plombent la mise en œuvre de différentes théories.    

Ce que je pense est qu’un professeur d’université peut devenir un bon politique. Il suffit qu’il mette en pratique comme il faut les théories qu’il enseigne à l’université ou les produits de ses recherches. Evidemment, avec un dosage subtil entre la théorie et la pratique requis par l’environnement politique est plus que nécessaire. Le professeur Raymond Barre, surnommé le meilleur économiste de France de l’époque, a été un bon premier ministre en France de 1976 à 1981. Evidemment, dès sa nomination à ce poste, il a exprimé sa volonté d’«exercer sa fonction de premier ministre dans la plénitude de ses attributions ».

Un autre exemple récent est celui d’Angela Merkel, professeure de physique, qui vient de diriger l’Allemagne de manière excellente pendant 16 ans. De 2006 à 2021, elle a été considérée comme la femme la plus puissante du monde et a bénéficié jusqu’à la fin de son mandat d’une cote de popularité particulièrement importante. On peut rentrer dans l’histoire de la RDC pour parler du cas du professeur de droit Marcel Lihau, qui a exercé de manière excellente plusieurs fonctions publiques, notamment celle de secrétaire d’Etat à la justice dès 1961, mais qui fut révoqué en juillet 1975 de ses fonctions de professeur et de président de la Cour suprême de justice pour avoir refusé de se compromettre en accompagnant le président Mobutu dans l’illégalité.

Ce que je pense est que la mise en œuvre d’une théorie enseignée à l’université est plus complexe que l’on ne puisse l’imaginer. Voilà pourquoi certains professeurs d’université deviennent parfois de mauvais politiques. Tout simplement, parce qu’ils sont incapables de mettre en pratique la théorie qu’ils enseignent à l’université. Il faut, en plus de la connaissance, avoir du leadership et de la gouvernance de qualité. Ainsi, un bon professeur d’économie peut ne pas être un bon ministre des finances ou encore moins, un bon gouverneur de la Banque centrale; un brillant professeur en sciences politiques peut se révéler un médiocre politique à la tête du ministère de l’intérieur ou de l’administration du territoire; certains spécialistes en relations internationales peuvent devenir de mauvais ministres des affaires étrangères.

Nous l’avons vécu dans ce pays, principalement au cours de la deuxième république. Pour fustiger l’inefficacité de plusieurs professeurs d’université qui ont œuvré à ses côtés comme premiers ministres, ministres, directeurs de cabinet, conseillers ou PDGs, le Président Mobutu a parlé de la République des professeurs. Un message cynique pour dire que la brillance de certains d’entre eux se limitait uniquement à l’université. Lorsque la République offrait à ceux-ci la possibilité de mettre en pratique leurs compétences, ils n’y arrivaient pas. L’environnement y était-il propice ? 

Ce que je pense est que le Président Mobutu n’avait pas tort de dénoncer cette contradiction flagrante, car la république des professeurs continue à fonctionner malheureusement jusqu’aujourd’hui. En effet, certains d’entre eux sont les premiers, lorsqu’ils enseignent à l’université, à démontrer comment on conçoit et met en œuvre une politique de santé, d’industrialisation, ou d’éducation; bref, comment on développe un pays. En outre, ils excellent dans les critiques pour dénoncer l’incompétence ou la mauvaise gouvernance des politiques qui sont à la base du sous-développement de leur pays. Ce qui bâtit leur réputation dans les milieux universitaires, voire professionnels et communautaires. Mais, quand on leur confie la gestion des ministères ou des institutions publiques, ils sont par moment pires que ceux qu’ils critiquaient. Pourquoi ? D’abord parce qu’enseigner la théorie est aisée, la mettre en pratique est complexe et difficile. Ensuite, parce que certains professeurs utilisent leurs diplômes comme tremplin pour accéder au pouvoir. C’est qu’au fond, ils ne viennent pas en politique pour l’intérêt général, mais pour leurs propres intérêts. Du coup, ils ne savent pas appliquer la théorie qu’ils enseignent à l’université, contrairement à leurs collègues cités ci-haut qui ont fait un meilleur alliage de la théorie et de la pratique ou ont refusé de tomber dans le piège de la mauvaise gouvernance. 

Ce que je pense est qu’on peut être un bon politique sans être professeur d’université, ou sans avoir été à l’université. Le plus important est d’avoir une très bonne base de connaissances apprises à l’école et qui peut être complétée notamment par la lecture et de formations pratiques, l’autodidactie. Les exemples des dirigeants non universitaires qui ont contribué au progrès économique de leurs pays sont légion. Pierre Bérégovoy n’avait qu’un brevet élémentaire et un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) d’ajusteur, mais il est devenu ministre des finances et premier ministre en France. Il avait été surnommé «Monsieur de la rigueur» ou «Monsieur le Franc fort ». Le cas le plus récent et frappant est celui du Président Lula da Silva qui a dirigé le Brésil de 2003 à 2010. Issu d’une famille très pauvre et faute de moyens, il a arrêté les études à l’âge de 15 ans environ. Il n’a eu qu’un certificat d’études. Il a été cireur de souliers, vendeurs des oranges et de cacahuètes avant de devenir un ouvrier tourneur et syndicaliste dans une industrie métallurgique. Mais, devenu Président de la république en 2003, grâce à son programme social «Bolsa Familia», Lula da Silva a réussi à réduire de moitié (de 9,7 % à 4,3 %) le pourcentage de la population vivant dans l’extrême pauvreté et de 15 % les inégalités de revenus dans le pays. Le taux de satisfaction de la population à son départ du pouvoir était de 80 %. Il était considéré comme l’un des présidents de gauche les plus populaires au monde. L’ex-président Barack Obama n’a pas hésité à le qualifier de «politicien le plus populaire sur terre». Bien que n’ayant jamais été à l’université, il a reçu plusieurs titres de docteur honoris causa des prestigieuses universités aux USA et en Europe. Et la population brésilienne voulait bien qu’il rempile d’autres mandats en dépit de restrictions constitutionnelles. Il a refusé de faire le glissement.

Ce que je pense est que le vagabondage politique de professeurs en déficit de leadership et de gouvernance et qui sont à la recherche des intérêts plutôt personnels que communautaires est de nature à déflaté la prestigieuse fonction d’enseignant à l’université et, à terme, à hypothéquer l’avenir du pays. Sinon, comment comprendre qu’un professeur en sciences politiques puisse se prévaloir d’être un acteur principal à la fois dans l’opposition et au pouvoir ? D’une part, il est membre influent du Think tank de son parti qui se trouve dans l’opposition, d’autre part, il élabore les stratégies à mettre en œuvre par le parti au pouvoir contre notamment son propre parti.

Comment peut-il au même moment conseiller le parti qui cherche à se maintenir au pouvoir et son propre parti qui cherche à déloger celui qui dirige ? Comment peut-il conseiller le parti au pouvoir à défaire l’opposition dans laquelle il se trouve et qu’il défend et protège ? Ceci est en contradiction flagrante avec les enseignements de sciences politiques qu’il continue à dispenser lui-même à l’université. C’est comme s’il était à la fois le conseiller de Dieu et du diable ! De quoi ressusciter Nicholas Machiavel, le célèbre auteur du livre  » Le Prince « .

Comment voulez-vous que les étudiants le croient quand  » le Prof Dr  » n’est pas en mesure d’appliquer ce qu’il enseigne à l’université ? Dira-t-il à ces derniers, en référence à l’évangile selon Saint Matthieu :  » Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais  » ? N’est-ce pas confirmer ce que François Rabelais disait au seizième siècle : «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme».

Kinshasa, le 13 février 2022

Matata Ponyo Mapon

Sénateur