«Loi Tshiani» et révision de la Constitution : l’Assemblée nationale joue avec le feu

Un feu, d’une rare intensité, couve à l’Assemblée nationale. Il risque de tout embraser, jusqu’à emporter le consensus né de l’accord global et inclusif de Sun City, émanation de la Constitution du 18 février 2006. Pour sa session ordinaire de mars 2023, la chambre basse du Parlement a inscrit, à son ordre du jour, des matières controversées. La première initiative, celle du député national Nsingi Pululu porte sur la « proposition de loi modifiant et complétant la loi n°04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise », alors que la deuxième, corolaire de la première, renvoie à la « proposition de loi portant révision de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée et complétée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 ». Ces initiatives vont dans un sens. Il s’agit d’ouvrir grandement le boulevard pour faire passer la « loi Tshiani » qui verrouille la fonction présidentielle aux seuls Congolais nés de père et de mère d’origine. Quelle est l’opportunité d’une telle démarche ? Qu’est-ce que l’Assemblée nationale gagne en entraînant toute la nation dans une pente aussi dangereuse. Difficile à comprendre. Décidément, le président Mboso et les élus nationaux de l’Union sacrée de la nation ont décidé de brûler le pays pour des intérêts inavoués. Tôt ou tard chacun répondra de ses actes devant l’Histoire.
Malgré le tollé général et la réticence d’une bonne partie de la classe politique, l’Assemblée nationale a décidé d’inscrire, à l’ordre du jour de sa session ordinaire de mars 2023, deux sujets qui divisent plus qu’ils ne rassemblent. La première est une proposition de loi, portée par l’honorable Nsingi Pululu, qui veut revoir les conditions d’acquisition de la nationalité congolaise telle que fixée par la loi n°04/024 du 12 novembre 2004. Il s’agit d’une version revue et corrigée de la «loi Tshiani » sur la «congolité». Au travers de cette proposition de loi, le député national, élu de la Funa à Kinshasa, veut corser les conditions d’éligibilité à la nationalité congolaise, dans la perspective de verrouiller la fonction présidentielle aux seuls Congolais nés de père et mère d’origine exclusivement congolaise.
Parce qu’une telle démarche n’est possible qu’en retouchant certaines dispositions de la Constitution, l’Assemblée nationale a inscrit, en corolaire, la « proposition de loi portant révision de la Constitution du 18 février 2006 », née du compromis politique en 2002 du compromis politique de Sun City (Afrique du Sud), telle que modifiée et complétée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011».
A quel jeu joue donc l’Assemblée nationale ? Quelle est l’opportunité d’une telle démarche ? Des questions dont seul le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso N’kodia Pwanga, a sûrement la réponse.
Dans l’opinion publique, les avis sont partagés. Certains voient dans la voie qu’a décidée l’Assemblée nationale une bonne manière de jeter de l’huile sur le feu, alors que le pays fait déjà face à une grave situation d’instabilité dans sa partie Est ? Et comme s’il n’en suffisait pas, c’est le moment choisi par les élus nationaux pour allumer un front interne aux conséquences imprévisibles
Autrement dit, réviser la Constitution dans le contexte actuel est une voie sans issue, aux conséquences incalculables. Que restera-t-il de ce compromis de Sun City, obtenu dans la douleur pour refaire l’unité de la République Démocratique du Congo ? Que vaut le discours de la « congolité » là où l’unité devra être la règle pour enraciner le vivre-ensemble dans la conscience collective de tout Congolais ?
Mboso se trompe – éperdument d’ailleurs. Sans le savoir, il amène le pays vers la dérive. « Symbole de l’unité nationale », seul le Président de la République pourrait mettre fin au discours déviationniste qui couve à l’Assemblée nationale. C’est le sens même du serment qu’il a prêté devant la Nation; celui « d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République; de maintenir son indépendance et l’intégrité de son territoire; de sauvegarder l’unité nationale; de ne me laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine; de consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix; de remplir loyalement et en fidèle serviteur du peuple les hautes fonctions qui me sont confiées ».
Bien plus, l’article 219 de la Constitution bloque toute tentative de révision de la Constitution en situation d’état de siège, comme c’est le cas dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. A ce titre, l’article 219 précise dans des termes clairs et précis qu’ « aucune révision (Ndlr : de la Constitution) ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège ni pendant l’intérim à la présidence de la République ni lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat se trouvent empêchés de se réunir librement ».
C’est donc le moment pour le Président Félix Tshisekedi de prouver qu’il est véritablement au-dessus de la mêlée, loin de tout calcul politique partisan. Il faut arrêter l’aventure périlleuse du président de l’Assemblée nationale avant qu’il ne soit trop tard. La RDC a déjà pansé ses plaies internes à Sun City. Ce n’est pas donc le moment de remuer le couteau sur une plaie qui peine à se cicatriser.

Econews

«Loi Tshiani » : un rapport des juristes de l’Assemblée nationale avait déjà rejeté cette proposition en juillet 2021
La proposition de loi, dit Tshiani, qui exige que tout candidat à la présidentielle de la République soit né de père et de père d’origine congolaise, vient d’être réchauffé – on ne sait pour quelle raison – à l’Assemblée nationale. Pourtant, en juillet 2021, un groupe de juristes de l’Assemblée nationale, saisi par le bureau de la chambre basse du Parlement, avait jugé cette proposition inappropriée au regard des dispositions de la Constitution. Déboutant la démarche de Noël Tshiani, ce groupe de juristes, dans lequel siégeaient, entre autres, les professeurs Djoli, Mbata et Gamanda, ont, dans leur conclusion, précisé que « le professeur Tshiani devra, s’il veut atteindre son objectif » se plier aux « mécanismes et à la procédure de révision de notre Constitution ». Remake de l’article de Jeune Afrique daté du 21 juillet 2021.
La proposition de réforme polémique de Noël Tshiani n’a été déposée que le 8 juillet au Parlement, mais de premières consultations avaient eu lieu plusieurs semaines auparavant avec des députés-juristes.
La proposition de loi de Noël Tshiani n’en finit pas d’agiter la majorité congolaise. Portée par le député NsingiPululu, elle a été déposée le 8 juillet à l’Assemblée nationale, mais suscite depuis une importante levée de boucliers au sein de la classe politique congolaise. Le camp de Moïse Katumbi, qui y est particulièrement hostile, dénonce une manœuvre du pouvoir pour écarter leur candidat, ce que l’entourage présidentiel rejette.
Formulé par l’ancien candidat à la présidentielle de 2018, ce projet de loi alimente le débat depuis de nombreux mois. Bien que son projet ne soit déposé au Parlement pour examen, Noël Tshiani avait échangé sur le sujet avec les présidents des deux chambres, qui sont aussi deux alliés de Félix Tshisekedi : Modeste Bahati Lukwebo au Sénat et Christophe Mboso N’Kodia Pwanga à l’Assemblée nationale.

Obstacles constitutionnels
«Le président de l’Assemblée n’étant pas un juriste, il l’a simplement écouté mais il a ensuite demandé à un groupe de juristes de l’Assemblée de le recevoir avec sa délégation », confirme un participant.
À l’issue de cet entretien début mai, le président de la chambre basse a en effet, selon nos informations, mandaté plusieurs députés-juristes afin de mieux comprendre la faisabilité de la proposition de loi. Parmi eux figuraient, entre autres, Jacques Djoli, André Mbata et Gamanda Matadi Nenga.
Ces derniers ont reçu Noël Tshiani le 11 mai. « On lui a dit que même si on peut avoir la liberté de penser sur tout, il existe dans la Constitution des verrous juridiques », poursuit l’un des participants.

Obstacles
Ces mêmes juristes ont fait leur rapport à Christophe Mboso huit jours plus tard, dans une note que Jeune Afrique a pu consulter et qui résume les obstacles inhérents selon eux à ce projet de réforme. « Nous l’avons invité [Noël Tshiani] à nous faire parvenir un argumentaire écrit de sa proposition en vue d’un échange plus approfondi », précise la note.
Dans la synthèse de ce «groupe de contact» dont l’objet est «Réflexions du professeur Tshiani », les auteurs rappellent notamment que « la question de nationalité est réglée par l’article 10 de la Constitution et fait partie des droits et libertés fondamentaux qu’aucune révision constitutionnelle ne peut toucher (article 220)».
Ils soulignent aussi que «les conditions d’accès à la fonction présidentielle sont fixées par l’article 72 de la Constitution, qui prévoit premièrement l’obligation «d’être de nationalité congolaise d’origine»».
En conclusion, les juristes précisent que «le professeur Tshiani devra, s’il veut atteindre son objectif» se plier aux «mécanismes et à la procédure de révision de notre Constitution».
Article de Jeune Afrique daté du 21 juillet 2021