Samedi à Kinshasa, le public a eu droit à une conférence de presse mouvementée entre le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, et son homologue français, Emmanuel Macron. Le code diplomatique qui caractérise ces genres de rencontre n’a pas été au rendez-vous. Bien au contraire. Les deux chefs d’Etat se sont rendus coup pour coup, sans quelque fois porter des gants. La bataille a été rude. Kinshasa et Paris se sont dit des vérités en face, jusqu’à celles qui fâchent. Mais, à la fin, c’est dans une ambiance bon enfant que les deux personnalités ont clos leur show médiatique. Pour Macron, autant Félix Tshisekedi, le message est passé. « On est ensemble », a lancé Macron, comme pour atténuer les piques qu’il venait de lancer quelques minutes auparavant. Que retenir de ce passage – le premier de sa présidence – en République Démocratique du Congo. En réalité, Kinshasa et Paris veulent s’inscrire dans une nouvelle forme de partenariat, « mutuellement responsable et sans paternalisme », a tenu à préciser Félix Tshisekedi. Avant Macron, le Pape François, en séjour début février à Kinshasa, avait déjà ouvert le bal en appelant le monde à « retirer ses mains de la RDC », le président français a complété la partition en faisant remarquer que la RDC «ne doit pas être un butin de guerre, le pillage à ciel ouvert (du pays) doit cesser. Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre !». Et maintenant ! Après ces deux grands évènements, les lignes devaient certainement bouger dans la compréhension du drame qui ronge l’Est de la RDC.
En bouclant par la République Démocratique du Congo sa tournée en Afrique Centrale, le président français Emmanuel Macron savait qu’il venait dans un terrain miné, tout aussi imprévisible. Samedi en conférence de presse qu’il a coanimée avec son homologue congolais, Félix Tshisekedi, on a véritablement eu droit à une passe d’armes qui a tourné au pugilat. De commentaires en commentaires, les deux Chefs d’Etat se sont livrés à un véritable jeu de ping-pong qui augure – nous l’espérons – de nouvelles relations entre Kinshasa et Paris.
Devant la presse, Félix Tshisekedi, autant Emmanuel Macron, se sont pratiquement démarqué de code diplomatique qui oblige quelque fois à la retenue. Les deux chefs d’Etat se sont dits des vérités, sans porter des gants.
Et lorsque Macron évite de citer le Rwanda nommément , promettant à la RDC de s’impliquer pour un retour rapide de la paix dans l’Est de la RDC, Félix Tshisekedi lui lance : «Les annonces du président Macron sont satisfaisantes, mais c’est encore théoriques, on attend la pratique».
Félix Tshisekedi craint que la situation de crise dans l’Est de la RDC n’oblige finalement la Céni à revoir le calendrier électoral. «Dans la partie Est, nous attendons que l’ordre et la sécurité reviennent pour ne pas impacter la date prévue pour les élections», a-t-il dit, répondant à une question de la presse.
Dans tous les cas, Emmanuel Macron s’est refusé à indexer le Rwanda comme principal agresseur de la RDC. Il note cependant que les engagements politiques et humanitaires de la France sont «très clairs». Avant de nuancer : «Mais, ce n’est pas la France qui va apporter la solution. J’espère ne pas avoir le sentiment de ne pas aller jusqu’aux sanctions».
Quand Kinshasa exige de Paris une condamnation claire, Macron ne se retient pas : «N’accusez pas la France pour quelque chose qui dépend de vous »
Quant aux élections, prévues en décembre prochain, le chef d’Etat français a usé des mots justes : «Si on veut que les choses marchent, il faut partir avec la confiance et se donner les moyens de la confiance. Il faut qu’il y ait un processus de confiance qui soit mis en place, avec une clarté démocratique pour que les choses se déroulent normalement ».
Le président français est allé plus loin : «J’ai été très clair sur la condamnation et tous ceux qui le (Ndlr : le M23) soutiennent. La France est un soutien et un allié contre ce pillage et cette volonté de balkanisation de la RDC ».
Toujours est-il que Macron croit au processus sous-régional, mené avec l’accompagnement de Nairobi et de Luanda. «Il y a un processus qui avance. Je souhaite que ce plan régional, qui me paraît sérieux et crédible, aboutisse ». Et de promettre : «Si les engagements ne sont pas respectés, on peut alors envisager les sanctions ».
Paris s’accroche cependant à sa logique de non-ingérence : «Chacun doit prendre ses responsabilités, y compris le Rwanda ».
Quoi qu’il en soit, le président Macron confirme sa vision pour l’Afrique. «Ma vision avec l’Afrique est de bâtir un nouveau partenariat».
A son tour, Félix Tshisekedi s’est présenté en défenseur d’une Afrique qui veut pleinement s’assumer. «Nous voulons du respect. Pas de regard paternaliste», a-t-il lancé à son homologue français.
C’est à quoi Macron lui a répondu, sans broncher : «Je ne voudrai pas que de malentendu s’installe. Il n’y a pas de double standard. Il n’y a pas irrespect. Ce n’est pas vrai. Quand un journaliste pose de questions, ce n’est pas la France ».
Dans tous les cas, la conférence de presse du palais de la Nation a permis à Kinshasa et Paris de se dire des vérités en face. C’est d’ailleurs sur un ton amical que le président Macron a terminé ce rendez-vous avec la presse : «On est ensemble!». Un engagement qu’il a décliné dans les quatre langues nationales de la RDC.
Qu’en sera-t-il après ?
Emmanuel Macron est venu, il a vu, il a bu, il est reparti. Comme il était arrivé la veille, vendredi en pleine nuit. Il ne s’agissait surtout pas d’exposer le cortège présidentiel aux humeurs ombrageuses de la bouillante Tshangu, passage obligé sur la route de l’aéroport international de Ndjili. Non sans s’être un brin encanaillé au préalable dans un tripot de la chaude Bandalungwa. Pour des raisons évidentes de sécurité, la marque de la bière qu’il a dégustée, en compagnie d’une star de la chanson congolaise et bien d’autres officiels ne sera pas divulguée ici. Les réseaux sociaux s’en chargeront (sic !).
En plus sérieux : le président français n’est pas venu à Kinshasa pour apprendre des leçons de la rumba congolaise. Il était attendu – par Félix Tshisekedi en premier – qu’il affichât une position claire et sans ambiguïté face à l’agression du Rwanda contre la République démocratique du Congo sous le paravent de la «rébellion» du M.23. Mieux : qu’il annonçât des sanctions à l’encontre du président rwandais et sa cour. Rien de tout cela n’eut lieu.
Maniant une rhétorique insolente digne de l’énarque qu’il est, Emmanuel Macron a en revanche annoncé son attachement aux «processus de Luanda et de Nairobi»; s’appuyant sur le cessez-le-feu arrêté par les chefs d’états-majors de l’EAC à ce mardi 7 juillet. Tout en sachant en son for intérieur que le M23 n’en a rien à faire des textes conclus en son absence et qu’il serait miracle qu’il s’exécute.
Emmanuel Macron s’est envolé vers son pays où l’attendent d’autres soucis. Et avec lui les derniers espoirs des dirigeants congolais qu’il a invités, avec les autres protagonistes de la crise sécuritaire dans l’Est de la RDC, à «prendre leurs responsabilités ».
Prendre ses responsabilités côté congolais, c’est réaliser, enfin, que la guerre pose déjà un dilemme existentiel : il s’agit de se battre contre l’ennemi et de le vaincre par ses propres efforts, ou de disparaître en tant qu’Etat. Kinshasa ne semblant même pas comprendre que le temps joue en faveur des agresseurs et des «forces invitées» venues en réalité prendre leur part des dépouilles de l’éléphant blessé et agonisant qu’est devenue la RDC.
Le blabla du pillage à ciel ouvert qui doit cesser, du Congo qui n’est pas un butin de guerre ou du prochain pont aérien humanitaire est destiné à dorer la pilule à une classe politique qui ne semble pas trouver ses repères. Les rares à qui il reste encore un peu de courage poseront peut-être la question à Félix Tshisekedi : «Chef, et maintenant ? ».
Econews
Décryptage d’une conférence de presse qui a laissé des traces
Dans l’opinion publique, la conférence de presse mouvementée entre Macron et Tshisekedi est diversement commentée.
Lorsque Macron charge les dirigeants congolais qui, depuis 1994, auraient, selon lui, démontré leur incapacité à bâtir un Etat moderne, prêt à sécuriser ses frontières et défendre sa souveraineté, un analyste rétorque : « N’importe quoi ! Ce n’est pas un Président de la France qui peut tenir de tels propos sur la situation de la région des grands lacs. La France devrait faire profil bas dans le drame de l’Est de la RDC. Oui, le gouvernement congolais est le premier responsable de la restauration de l’autorité de l’État sur l’enseignement du pays. Oui, les autorités congolaises n’ont pas fait beaucoup d’efforts pour restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du pays et au courant de ces 30 dernières années. Mais qui ignore que sans le soutien économique, politique et militaire des gouvernements américain et britannique et de l’Union Européenne, le Rwanda n’aurait pu déstabiliser l’est de la RDC. S’il faut aller plus loin dans l’histoire, qui ignore que la France a une grande responsabilité dans la déstabilisation de l’est de la RDC. C’est le soutien de la France au régime de feu Habyarimana qui a occasionné le génocide de 1994, l’élément déclencheur de la déstabilisation de l’est de la RDC. C’est la France qui avait armé les génocidaires, ex-FAR et Interahamwe, qui sont aujourd’hui de FDLR. C’est la France qui s’est abstenue d’empêcher le génocide rwandais alors qu’elle avait les moyens de le faire tant sur le plan politique, militaire et diplomatique. Qui ignore que c’était l’ONU, dont la France est membre permanent au conseil de sécurité, qui avait demandé au Congo (Zaïre à l’époque) d’accueillir les réfugiés Hutu, y compris les génocidaires, ex-FAR et interahamwe. Si j’étais à la place de Fatshi Béton aujourd’hui là, j’aurais pu être plus dur et plus direct vis à vis de Macron qui, visiblement, n’a pas la bonne compréhension de l’histoire de la lointaine et récente de la région des grands lacs et surtout de la responsabilité historique de la France dans cette tragédie ».
Un autre, Jean-Claude Muenda, Congolais de la diaspora, voit dans les déclarations de Macron le reflet de la grande bataille géopolitique qui se joue dans la région des Grands lacs africains
«Ce constat de Macron n’est pas une nouveauté. C’est connu de tous qu’il n’existe pas d’Etat en RDC. Tous les congolais le savent. En outre, lui-même Macron ajoute que cette guerre à l’Est est appuyé par les congolais et des puissances externes (y compris la France). D’ailleurs il a volontairement refusé de répondre à la question de la responsabilité de la France qui avait exigé l’ouverture du corridor humanitaire laissant passer les militaires rwandais avec armes et autres matériels militaires. De tout ceci, ce qui est important n’est pas les dires des chefs d’états dans une conférence de presse mais plutôt le message qu’ils passent à travers cette conférence. Ainsi, la question fondamentale est: Qu’est-ce que les deux chefs d’états se sont convenus? L’attente de la RDC est que la France soutienne de moins en moins le Rwanda. Qu’est-ce qu’elle donne à la France pour obtenir ce résultat et que concède la France ? Il ressort de cette conférence de presse des points importants : 1) la France sait que le destin de la RDC est d’être un état puissant en Afrique et dans la francophonie (d’ailleurs qui ne dit pas d’être le pays francophone le plus puissant dans 100 ans au monde?). Macron l’a évoqué en filigrane; 2) la France réaffirme que la RDC est au centre des changements géopolitiques et des enjeux de puissance; 3) il est impératif pour la France de développer un partenariat avec la RDC (comme le font par exemple les États-Unis qui eux ont compris que la RDC doit être un partenaire stratégique pour eux; 4) la France n’a pas encore peaufiné le type de partenariat (stratégique ou normal) à conclure avec la RDC mais elle le veut pour ses entreprises et pour la puissance de la France ; 5) la RDC n’a pas clairement spécifié ou identifié que peut-elle recevoir de la France et par conséquent quel type de partenariat à développer avec elle ; 6) la coopération militaire que proclame Macron est plus dans le domaine de la protection des forêts plutôt que La Défense de l’intégrité du territoire congolais », note-t-il.
Et de poursuivre : «On voit donc globalement les grandes tendances mais le moment étant grave et pressant, d’après le message de la conférence de presse, pour répondre au besoin de la RDC de lâcher le Rwanda, la France exige sa participation au festin des minerais stratégiques en RDC. Elle veut être à la cuisine car elle veut participer dans un premier temps à la détermination de la cartographie de ces minerais. Ainsi ça lui permettrait de savoir où se trouvent les beaux morceaux de viande en langage culinaire. C’est à ce prix qu’il sera avec la RDC. Au fait, Macron offre une solution de long terme alors que la requête de la RDC est immédiate. Pour montrer sa bonne foi, la France présente le financement de l’Union européenne sur les questions humanitaires donnant l’impression de régler le problème alors que le problème n’est pas qu’humanitaire. Le problème est plus que sécuritaire. Les populations déplacées ne demandent pas qu’on s’occupe d’eux mais veulent rentrer chez eux. Si la France affecte ces sommes d’argent allouées aux questions humanitaires pour financer le déploiement des troupes de l’EAC et accélérer le cantonnement de M23, l’impact sur les déplacés serait plus efficace en leur permettant de retourner chez eux plutôt que de les entretenir loin de leur domicile ».
Jean-Claude Muenda enchaîne : « Elle ne s’arrête pas là, Macron affirme avoir reçu les assurances des chefs d’état que le processus de désengagement du M23 sera respecter sinon, la France apportera son soutien aux sanctions à condition que le président angolais le spécifie. Avec cette position, il montre clairement que la France ne sera pas responsable d’absence des sanctions car ce n’est pas elle qui constate les blocages ».Avant de conclure : « Emmanuel Macron utilise la vieille pratique diplomatique : obtenir ce que l’on veut avec les biens des autres. Il est allé seul soutenir le Rwanda et aujourd’hui sans s’engager politiquement, il veut obtenir de la RDC d’être au butin des minerais stratégiques et de développer la coopération militaire, c’est-à-dire, la RDC devrait acheter des armes de la France car la RDC a les moyens de se procurer des armes aujourd’hui pour 1/2 milliards en trois ans. Qu’est-ce qu’elle donne? Le financement humanitaire de l’Union européenne et non celui de la France pour faire avancer les intérêts français. Et pourtant les conclusions et décision de Luanda ou de Nairobi ont été prises sans la France. Qu’elle vienne aujourd’hui pour les appuyer, on ne peut douter un seul instant que la France sait qu’avec ou sans elle, Kagame va quitter la RDC. Elle veut en tirer profit. Qu’est ce qui se passera? Le temps et la patience nous le dira, toutefois, la trajectoire risquerait d’être celle-ci : elle n’aura pas le partenariat sur les minerais stratégiques, la RDC pourrait acheter quelques armes et Kagame et ses troupes vont être défaits. Tout est question de temps. Les deux chefs d’état l’ont reconnu en utilisant un petit mon passé inaperçu : dans le temps».
«Macron et Fatshi : qui a parlé à l’autre dans les yeux ?»
C’est la question que s’est posé un analyste au terme du pugilat, samedi à Kinshasa, entre les deux Chefs d’Etat.
A lui de répondre : « Je suis en train de vivre, de manière grogi l’éloge du néant, l’exhibition de l’impuissance et l’honneur faite à l’indignité sécuritaire, diplomatique et stratégique. En tant que expert en communication, je ne voulais pas intervenir dans ce débat. Mais, notre crise d’intelligence a dépassé toutes les limites du tolérable. Tenez, notre Président a invité Macron. Nos services étaient supposés connaître d’avance l’état d’esprit de l’invité et au besoin, conseiller de l’éviter. Celui-ci arrive la nuit et est reçu par le PM. Nos services sont toujours distraits quant à son état d’esprit. Il y a un tête-à-tête entre deux homologues, nos chefs toujours ne savent le contenu de ce que va dire l’hôte devant les Caméras. Et PAF en public, Macron dit en substance ceci : (i) tu es incapable de protéger la souveraineté de ton pays ; (ii) tu as obtenu la fonction présidentielle par fraude, à la suite d’un deal en 2018 ; (iii) il ne faut pas chercher le bouc émissaire en dehors du Pays, le problème c’est toi ; (iv) les élections à venir, il faut la confiance en CENI et CC, certainement pour ton départ ; (v) j’appuie le processus de Luanda,… (Donc le dialogue entre M23 et RDC),… ; (vi) tu n’as pas pu instaurer la Justice transitionnelle et pourtant c’est de ta responsabilité. Il va jusqu’à faire l’éloge de la presse occidentale,…. En retour, l’hôte fauché est fâché. Son visage frustré l’atteste alors que son invité agresseur est souriant (sémiologie de l’image en dit long). L’hôte est prêt à aller au corps à corps. Il dit tu es paternaliste, il faut condamner le Rwanda. Cette posture doit changer,…
Questions : 1. Pourquoi le Président a-t-il invité Macron ? Nos services ont failli en envoyant le Président à la première ligne de front. 2. Les Gens du pouvoir ne voient-ils pas qu’il y a continuité entre message du Roi des Belges, du Pape, celui d’Emmanuel Macron et de la majorité des opposants congolais ?
J’ai l’impression que certains n’ont pas pu et/ou su comprendre la gravité de ces chamailleries en conférence de presse, la portée des vérités exprimées de manière crue par Macron et, ne comprennent pas qui est le perdant dans tout ceci. Congolais.
Que faut-il faire ? Apprendre à devenir fort pour être respecté chez vous et ailleurs. L’unique voie, c’est reconnaître la puissance de l’éthique, des compétences intellectuelles, de la bonne gouvernance et du leadership éclairé. Félix a reçu une gifle diplomatique».
A tout prendre, la visite de Macron à Kinshasa a fondamentalement changé les rapports entre Kinshasa et Paris. Les lignes vont bouger. Qui en sera le grand gagnant ? Suspense !