Affaire Stanis Bujakera : le sort du journaliste est-il déjà scellé ?

Enquête à charge, expertise technique bidon, témoins de la défense refusés, déclarations troublantes du président de la République… Alors que le journaliste congolais Stanis Bujakera comparaîtra de nouveau devant le tribunal ce 1er décembre, de sérieux doutes pèsent sur la sincérité et l’équité d’un procès qui semble avancer à marche forcée vers une condamnation.

La vérité va-t-elle éclater lors du procès de Stanis Bujakera en République démocratique du Congo (RDC) ? 

Arrêté et détenu depuis le 8 septembre pour avoir prétendument fabriqué et diffusé une note des services de renseignements congolais relative à l’assassinat d’un opposant politique, le correspondant du média Jeune Afrique, qui s’apprête de nouveau à comparaître devant le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe ce vendredi 1er décembre, a de quoi être inquiet. Et ses soutiens, dont RSF, aussi.

Les dernières révélations d’un consortium de médias (dont le magazine Jeune Afrique, le quotidien belge Le Soir, et le média indépendant congolais Actualite.cd) sur cette affaire sont accablantes pour l’accusation. L’expertise technique, sur laquelle se fonde très largement le ministère public, relève au mieux de l’incompétence, au pire d’une tentative grossière de justifier les lourdes charges pesant contre le journaliste.

L’expert, le commissaire Jean-Romain Kalemba, assure ainsi que l’analyse des métadonnées de l’image, c’est-à-dire de la note des services de renseignements incriminée, a permis de déterminer que cette dernière provenait d’un « compte télégramme » ayant pour avatar « @MG ». Selon l’expertise, le document a ensuite été partagé pour la première fois sur WhatsApp par le numéro utilisé par le journaliste via « l’adresse IP 192.162.12.04 » le 3 septembre 2023, soit quatre jours après la publication de l’article de Jeune Afrique s’appuyant sur cette même note, que le journaliste est accusé sans preuve d’avoir transmis à sa rédaction…

Une expertise bidon présage d’une condamnation ?

Interrogé par le consortium, l’un des porte-paroles de Télégram confirme qu’il est absolument impossible d’identifier l’adresse IP d’un expéditeur d’une photo, puisque les métadonnées de cette dernière sont «automatiquement supprimées» lors de l’envoi. Même réponse de son homologue de Méta (propriétaire de WhatsApp) : il n’est «pas possible de retrouver l’expéditeur initial d’un message WhatsApp ». L’absence de traçabilité est au cœur même du modèle de ces messageries conçues pour protéger celles et ceux qui s’expriment, notamment dans les régimes autoritaires. Tous les experts le savent.

Autre aberration de cette « expertise », l’adresse IP mentionnée est en réalité utilisée par Bullhost, une société de cybersécurité espagnole. Également contactée par le consortium, cette dernière affirme que cette adresse est exploitée « exclusivement pour usage interne » et ajoute qu’il n’est « pas possible qu’un trafic particulier ait été acheminé vers elle ».

Malgré les sérieux doutes concernant la fiabilité et l’honnêteté de cette expertise, la demande des avocats du journaliste qui souhaitent pouvoir présenter leurs propres experts n’a pour l’instant pas été accordée.

Dans cette affaire, le ministère public ne s’est pas contenté de porter de graves accusations sans fondement. Il s’appuie sur une expertise manifestement bidon qu’aucun spécialiste sérieux ne pourrait cautionner. Le fait que le juge n’ait pour l’instant pas autorisé la défense à présenter ses propres experts et que le président de la République lui-même évoque son éventuelle intervention après une condamnation du journaliste ont de quoi susciter notre inquiétude quant au sort qui sera réservé à Stanis Bujakera à l’issue de ce procès.

Dans une interview accordée à France 24 et RFI le 16 novembre, le président Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession lors de l’élection du 20 décembre prochain, a pour la première fois évoqué la possibilité que le journaliste ait pu être manipulé « en lui faisant croire qu’il s’agissait d’un document de première main pour désorienter les enquêteurs ».

Une analyse cohérente avec les révélations de RSF sur l’authenticité de cette note qui, selon nos informations, a pu être transmise à des fins de règlement de comptes au sein de l’Agence nationale de renseignements (ANR) congolais.

« Je n’interviendrai que plus tard, peut-être, s’il est condamné, pour une amnistie, une grâce ou que sais-je », a conclu le président. Un scénario déjà établi ? Un horizon bien incertain et peu souhaitable après trois mois de détention arbitraire. Le journaliste risque jusqu’à dix ans de prison.

Avec RSF (Reporters sans frontières)