Bloc contre Tshisekedi : après le trio Fayulu-Matata-Mukwege, une cascade d’alliances en perspective

L’année 2023 sera essentiellement électorale. C’est la promesse faite dernièrement par le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, devant le Parlement réuni en Congrès. Comme en 2018, on devra s’attendre à des alliances de toute nature. La première a déjà pris forme avec le communiqué conjoint signé par le trio Matata – Fayulu – Mukwege. On apprend qu’un autre leader, en l’occurrence Moïse Katumbi, avait décidé de se joindre au groupe avant de se rétracter pour une raison non connue du grand public. Qu’à cela ne tienne ! Félix Tshisekedi devra se préparer à une grande bataille électorale. Pour l’instant, le bloc se forme autour des personnalités. Sans doute, dans les tout prochains jours, c’est autour des projets que les grandes alliances vont-elles se former pour contrer l’Union sacrée de la nation qui se prépare, après l’appel de Mbandaka, à se muer en une plate-forme électorale.
La déclaration, publiée samedi 24 décembre 2022 par Augustin Matata Ponyo, Martin Fayulu et le docteur Denis Mukwege, fustigeant dans des termes sans équivoque la gouvernance du régime mené par le Président de la République, Félix Tshisekedi, ne finit pas à faire des vagues. Son contenu, pourtant, ne comporte aucune nouveauté. Le népotisme, la gestion calamiteuse de la chose publique, la nécessité de recomposer la Commission électorale nationale indépendante et la refonte de la Cour constitutionnelle sont des matières qui procèdent du discours devenu coutumier de l’opposition congolaise.
Ce qui est nouveau en revanche, c’est la réunion des trois personnalités dont la communauté des vues apporte une nouvelle dimension au rejet de la vision de gouvernance du régime en place depuis les élections de décembre 2018. Pour la première fois en effet, deux candidats à la magistrature suprême unissent leurs voix à celle de l’éminent prix Nobel de la paix. Le docteur Mukwege que des lobbies intérieurs (et extérieurs ?) poussent à se jeter dans l’arène électorale.
De source généralement bien informée, il est indiqué qu’ils auraient dû être quatre signataires du brûlot qui plonge les tenants du pouvoir à Kinshasa dans un incontestable inconfort politique.
En effet, au départ favorable à la démarche, Moïse Katumbi se serait rétracté en dernière minute. Par calcul politique ou mû par la volonté d’emprunter d’autres voies de raccourci ?
Toujours est-il que le leader d’Ensemble pour la République, investi candidat par son parti politique au terme d’un congrès tenu à Lubumbashi, serait favorable à fédérer autour de sa candidature une nouvelle alliance.
Une autre opinion soutient en revanche que l’idée de s’allier une nouvelle fois avec Martin Fayulu, après la déconvenue de Genève à la veille des scrutins de 2018, ne devait pas arranger le leader d’Ensemble pour la République. L’entourage de «l’homme de Kashobwe» aurait fait prévaloir le caractère non fiable des engagements de Lamuka dont le penchant jugé exagéré à une intransigeance sans concession constituerait à terme un boulet dont Ensemble pour la République ne serait pas disposé à partager le poids.
Il n’est pas non plus exclu que la rebuffade de dernière minute de Katumbi à rejoindre Matata, Fayulu et Mukwege soit dictée par un souci de faire cavalier seul, tant le rapprochement entre l’ancien Premier ministre et le leader de Lamuka (dont il avait déjà fait partie) ne repose pas sur un programme commun clairement exprimé. Tout comme il n’est pas certain que l’un et l’autre soient disposés à s’effacer à l’heure cruciale du dépôt de candidatures. Dans ces conditions, l’on suppose que Katumbi serait bien aisé de se constituer une alliance dont les membres ne le gêneraient ni par leur notoriété au niveau national, encore moins par leur ancrage politique passé, mais faussement renié. Ce qu’illustre la visite que vient lui faire Lisanga Bonganga, lui aussi candidat président de la république déclaré. Bref, une alliance où il serait le Boss absolu.

A propos des alliances…
Depuis l’engagement du processus démocratique en RDC par le discours du Maréchal Mobutu le 24 avril 1990, l’on ne compte plus les alliances conclues par des personnalités ou regroupements politiques de circonstance. De l’Usor-Usoral-Usoras des années 90 à Cap pour le changement conclu entre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe au lendemain du fiasco de Genève en 2018, en passant par l’AMP ou le FCC de la mosaïque kabiliste, aucune n’a résisté à l’épreuve du temps. La raison en est simple : les alliances se nouent autour des personnalités choisies en raison de leurs origines, de leur fortune ou simplement dune notoriété de façade portée par les… artistes (chanteurs).
La solidité des programmes communs et des projets rationnels pour le développement sont rarement ou jamais pensés comme priorités. Le projet de société se résumant dans la sempiternelle rengaine de mettre l’homme congolais au centre de notre action politique. De lutter contre la corruption et de construire enfin un Etat de droit. Des lieux communs auxquels personne n’a jamais cru, à commencer par leurs auteurs.
La déroute de l’accord de Genève, conclu en novembre 2018, quelques mois avant par des leaders de l’opposition autour d’un candidat unique, est un passé lourd qui peine à s’effacer. A Genève, ce sont des personnalités qui s’étaient engagées et non les partis ou regroupements politiques. Si bien que, lorsque Félix Tshisekedi a subi les premières attaques de son parti, l’UDPS, il n’avait pas hésité à renier sa signature.
Comme si l’histoire devait se répéter, le rapprochement entre Matata, Fayulu et Mukwege se retrouve dans le même cas de figure que le malheureux accord de Genève. Quoi qu’il en soit, c’est déjà un premier pas dans la constitution de différents blocs dans la perspective des élections de décembre 2023.
Le plus important serait d’arriver à une alliance autour des idées ou des projets en proposant une alternative crédible et politiquement réfléchie au projet que portera l’Union sacrée de la nation. En se limitant à une alliance des personnalités, il y a risque que l’histoire se répète, rappelant le tristement accord de Genève que Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi ont enterré juste après.

Econews

Déclaration commune Martin Fayulu – Matata Ponyo Mapon – Dr Denis Mukwege

Peuple Congolais, Chers compatriotes,
Nous, personnalités politiques et de la société civile, signataires de la présente déclaration, fixons l’opinion nationale et internationale sur ce qui suit :
Notre pays, la République Démocratique du Congo, vit l’un des moments les plus sombres de son existence. Et, si nous ne nous réveillons pas et ne prenons pas nos responsabilités pour agir avec courage, hauteur, sagesse et détermination, l’Histoire retiendra que nous aurons été des témoins-complices de son émiettement, donc de sa balkanisation.
Cette menace est essentiellement le résultat d’un déficit criant de leadership et de gouvernance de la part d’un régime irresponsable et répressif. Par ailleurs, ce régime est un partenaire fiable du Rwanda et de l’Ouganda qui agressent notre pays et exploitent illégalement ses ressources naturelles. Le peuple congolais est ainsi devenu à la fois la cible et la victime de ceux à qui il avait gracieusement accordé son hospitalité.
En effet, ce régime viole chaque jour la Constitution et sacrifie ainsi l’intérêt général sur l’autel d’intérêts particuliers, mettant à mal la moralité publique en privilégiant le recours aux antivaleurs telles que la corruption, le détournement de deniers publics, le clientélisme, le tribalisme et le népotisme, au non respect des libertés fondamentales et des droits humains, mettant ainsi en péril la souveraineté de la nation congolaise. Il ne respecte pas les droits humains et prend dangereusement et hasardeusement des engagements sur les questions de souveraineté nationale.
Au lieu de doter le pays d’une armée efficace et d’institutions solides pour assurer entre autres l’intégrité du pays et renforcer la démocratie, le gouvernement a privilégié une politique d’externalisation de la sécurité nationale à des forces étrangères et, pire, à des Etats à la base de la déstabilisation du pays, du pillage de ses ressources, et de graves exactions. Ce qui est de nature à prolonger et à aggraver l’instabilité.
En outre, le régime en place semble concentrer les moyens de l’Etat dans la recherche inquiétante de conservation du pouvoir par la fraude dans un contexte caractérisé par le rétrécissement de l’espace démocratique, d’atteinte à la liberté de la presse, de musellement de la société civile, et des tentatives d’exclure les leaders de l’opposition et de la résistance de la course au sommet de l’Etat.
Au moment où la nation est en péril, l’unité et la cohésion nationale devraient s’imposer pour relever nos défis existentiels. C’est pourquoi, nous exprimons notre profonde inquiétude sur le caractère non-inclusif du processus électoral en genèse et condamnons fermement ces violations systématiques des libertés d’opinion, d’expression, de réunion et de manifestation garanties par la constitution.
Alors qu’il est impératif de mettre définitivement fin aux crises récurrentes de légitimité à la base de l’instabilité politique et sécuritaire actuelle du pays, le manque d’indépendance de la CENI et de la cour constitutionnelle ainsi que la promulgation d’une loi électorale non-consensuelle et taillée sur mesure ne pourront accompagner des élections générales dignes d’une démocratie en 2023, lorsqu’il apparaît évident que le régime en place a confectionné un dispositif de fraude massive.
Nous condamnons fermement l’insécurité généralisée qui gagne maintenant tout le pays et le raidissement primaire d’un régime en désespoir qui révèlent sa détermination à organiser des élections au rabais, qui lui seront favorables. Ainsi, tout candidat déclaré ou potentiel candidat Président de la République est menacé et/ou terrorisé.
Nous dénonçons, dans le même cadre, la violation dans le chef de la CENI, de l’article 12 de la Constitution sur l’égalité de tous les Congolais devant la loi. En effet, en sélectionnant arbitrairement cinq pays de résidence où vivent nos compatriotes à l’étranger pour participer aux élections de 2023, la CENI a délibérément pratiqué la discrimination interdite par la loi.
Nous fustigeons le désordre généralisé observé ce 24 décembre 2022 lors du lancement du processus d’enrôlement des électeurs. L’impréparation, le non équipement de plusieurs centres d’inscription et l’amateurisme constatés dans le chef de plusieurs agents affectés dans ces centres préfigurent le chaos électoral qui nous attend en 2023. Dans le même contexte, le fait que le nombre de kits d’enrôlement par rapport à la population soit significativement élevé dans l’espace «Grand Kasaï » est révélateur de l’intention manifeste de gonfler le nombre d’électeurs et donc de sièges dans cette partie du pays. Pourtant, il n’est un secret pour personne qu’à cause de l’exode rural et d’autres raisons, cet espace géographique de notre pays se vide de ses habitants au profit d’autres provinces.
Comment expliquer par exemple que la province du Kasaï Central puisse être dotée de 1432 kits d’enrôlement et celle du Nord-Kivu de 1663 kits alors que cette dernière province est deux fois plus peuplée que le Kasaï Central ?
Nous condamnons, par ailleurs, la violation ouverte de la Constitution et des lois du pays, spécialement en ce qui concerne les poursuites judiciaires engagées contre certains acteurs politiques majeurs du pays dans le seul but de les éliminer du processus électoral en cours. Le dernier arrêt rendu par la Cour constitutionnelle dans le dossier du Sénateur Matata Ponyo Mapon, en violation de l’article 168 de la Constitution en témoigne à suffisance.
Sous notre leadership, nous déclarons solennellement qu’aucune forfaiture électorale ne passera en 2023 et la mobilisation de notre peuple sera totale pour sauver notre pays en danger.
C’est pourquoi, en vue de créer les conditions optimales d’un processus électoral impartial, inclusif, crédible et apaisé sur l’ensemble du territoire, nous exigeons :

  1. La levée de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri;
  2. La sécurisation des élections, notamment au Sud-Kivu, Nord-Kivu, Ituri, Maï-Ndombe et Kwilu;
  3. La recomposition immédiate de la CENI;
  4. La recomposition urgente de la Cour constitutionnelle;
  5. Le consensus autour de la loi électorale, des centres d’inscription d’électeurs et du calendrier électoral;
  6. L’arrêt de l’instrumentalisation de la justice et des services fiscaux contre les candidats déclarés ou les potentiels candidats Présidents de la République;
  7. Le respect de la Constitution sur la liberté d’expression, d’opinion, de réunion et de manifestations publiques;
  8. l’arrêt des poursuites judiciaires à l’encontre du Sénateur Matata Ponyo Mapon, conformément à l’article 168 de la constitution.
    Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on!
    Aussi, à cette étape essentielle du processus électoral, nous sollicitons auprès de la Communauté internationale, l’envoi urgent des experts des Nations Unies, de l’union européenne et de l’union africaine pour procéder au monitoring du processus tel que mené à ce jour.
    S’agissant de l’agression de notre pays par le Rwanda au travers de ses supplétifs de M23, nous exigeons :
  9. La condamnation ferme du Rwanda parle Conseil de sécurité et par tous les pays épris de paix et de justice pour cet acte d’agression contre la RDC, en violation de la Charte des Nations Unies;
  10. Le retrait immédiat des éléments du M23 de toutes les positions qu’ils occupent;
  11. Le déplacement loin de la RDC des éléments rwandais des FDLR et Ougandais des ADF par l’ONU;
  12. Le retour des 6 millions de déplacés internes congolais dans leurs territoires grâce à un programme que l’ONU devra mettre en place;
  13. La rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda et la fermeture de toutes les frontières avec ce pays;
  14. Le changement du mandat de la MONUSCO et de sa Brigade d’intervention pour octroyer aux forces de l’ONU tous les moyens nécessaires pour rétablir la paix en RDC.
    En ce qui concerne l’insécurité à Kwamouth, à Wamba (Bagata) et dans les environs de Kinshasa, nous exigeons une enquête internationale neutre pour connaître les contours et les auteurs des tueries barbares qui s’y déroulent de sorte qu’ils répondent de leurs actes devant les tribunaux. Nous demandons en plus à la police et à l’armée nationale de sécuriser les citoyens, leurs biens et tous les villages affectés par ces massacres.
    La stabilité de la RDC et de la région dépend d’un processus électoral impartial, inclusif et crédible ainsi que de la prise en compte effective de nos préoccupations et recommandations sécuritaires ci-dessus.
    Ensemble avec le peuple congolais, nous sommes plus que déterminés à défendre notre démocratie constitutionnelle ainsi que l’intégrité territoriale de notre pays.
    Que Dieu bénisse la République Démocratique du Congo et son vaillant peuple.
    Le 26 décembre 2022
    Martin Fayulu M.
    Matata Ponyo Mapon
    Dr Denis Mukwege