Mutualisation des investissements productifs : opportunités, défis et préalables

Anthony Nkinzo Kamole, Directeur général de l’ANAPI

Avec une superficie de 30 415 873 km2 et une population estimée à 1,4 milliard d’habitants, l’Afrique occupe une place singulière sur la scène mondiale, détenant un potentiel économique colossal. Elle possède à elle seule plus de 60 types de minerais différents, totalisant ainsi un tiers des réserves minérales mondiales, tous minerais confondus. A titre d’exemple, elle est dotée de 90 % des réserves de platinoïdes; 80% de coltan; 60% de cobalt ; 70% du tantale, 46% des réserves de diamant; 40 % des réserves aurifères et 10 % des réserves pétrolières. Cependant, malgré ses ressources naturelles abondantes, le continent demeure confronté à une réalité paradoxale, où les richesses du sol et du sous-sol coexistent étrangement avec une pauvreté persistante qui touche 54,8 %  de sa population.  Alors qu’elle compte près de 60 % des terres arables mondiales, l’Afrique ne génère que 9% de la production agricole mondiale. La montée des conflits et de la violence en Afrique subsaharienne laisse à craindre un ralentissement de la croissance par rapport à l’année 2022 dans cette région qui pourrait être exacerbé par le choc climatique.

I. Introduction

La République démocratique du Congo (RDC), joyau africain d’une superficie équivalente à toute l’Europe occidentale, incarne cette dualité de manière particulièrement frappante. En tant que premier producteur mondial de cobalt, avec 60 % des réserves mondiales prouvées, la RDC détient des richesses naturelles exceptionnelles, du cobalt au cuivre en passant par le coltan. Cependant, son économie, bien que dynamique avec un taux de croissance de 8,9% en 2022, demeure tributaire du secteur minier, l’exposant à la volatilité des prix des matières premières.

Etant donné le contexte de mondialisation de l’économie, l’interdépendance économique des pays pousse ces derniers à coaliser les moyens en vue d’imposer le rythme qui le convient à la marche de l’économie mondiale. Ainsi, mus par la volonté de former une masse critique pour contrebalancer le poids commercial des économies avancées, les Etats africains ont opté pour une plus grande intégration économique par la création d’une zone de libre-échange, initiative à laquelle la RDC a adhéré par la ratification de l’Accord portant création de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) le 28 janvier 2022.

Cet accord vise notamment à (i) contribuer à la circulation des capitaux et des personnes physiques et faciliter les investissements en s’appuyant sur les initiatives et les développements dans les États parties et les Communauté Economique Régionale (ii) renforcer la compétitivité des économies des États parties aux niveaux continental et mondial (iii) promouvoir le développement industriel à travers la diversification et le développement des chaînes de valeurs régionales, le développement de l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Cet accord s’accompagne notamment d’un protocole qui traite des questions liées à l’investissement entre les états parties dont la visée, entre autres, est (i) d’encourager les flux et les opportunités d’investissement intra-africains et promouvoir, faciliter, retenir, protéger et développer les investissements qui favorisent le développement durable des États parties ; (ii) établir un cadre juridique et institutionnel continental équilibré, prévisible et transparent pour les investissements, en tenant compte des intérêts des États parties, des investisseurs et des communautés locales; (iii) fournir un cadre juridique solide pour la prévention, la gestion et le règlement des différends en matière d’investissement; (iv) encourager l’acquisition et le transfert de technologies appropriées et pertinentes en Afrique ; et (v) promouvoir, renforcer et consolider les positions coordonnées et la coopération sur les questions liées à la promotion, la facilitation et la protection des investissements sur le continent.

Le Protocole sur l’Investissement de la ZLECAf promeut la collaboration entre Etats parties, notamment à travers des investissements mutualisés permettant un bien meilleur rendement pour les parties prenantes. En effet, la mutualisation des investissements productifs peut être compris dans le cadre de la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo. Ce dernier soutient que les pays ont intérêt à se spécialiser dans la production des biens et services pour lesquels ils ont un avantage comparatif en termes de coûts d’opportunité.

gorge la RDC et pour lesquels en général elle dispose d’un avantage comparatif, il apparait clairement que la ZLECAf est une opportunité à saisir pour le pays. Cet article explore les enjeux de la mutualisation des investissements et examine de près les opportunités qui s’offrent à la RDC dans ce nouveau paradigme économique continental.

Alors que l’Afrique s’efforce de transformer ses richesses en prospérité partagée, comment la RDC peut-elle tirer profit de cette mutualisation pour stimuler sa croissance économique et favoriser une transformation structurelle significative ? C’est à cette interrogation que nous tenterons de répondre au fil de cet article.

II. Mutualisation des investissements productifs

La mutualisation des investissements productifs se définit comme une collaboration étroite entre plusieurs pays visant à optimiser l’utilisation de leurs ressources et compétences respectives dans le dessein de stimuler la croissance économique. Elle implique la mise en commun des ressources financières, technologiques et humaines en vue de créer des synergies capables de dépasser les frontières nationales. Ce concept s’inscrit dans le cadre plus vaste de l’intégration régionale, où les nations collaborent pour maximiser leurs avantages comparatifs, favorisant ainsi une spécialisation efficace et une prospérité partagée.

Dans le cadre d’une zone de libre-échange, la mutualisation des investissements va au-delà de la simple réduction des barrières tarifaires. Elle implique une harmonisation des politiques économiques, des infrastructures et des réglementations pour créer un environnement propice aux échanges et aux investissements. Pour la RDC, cela signifie non seulement une ouverture accrue aux marchés régionaux, mais aussi la possibilité de partager des technologies, des connaissances et des compétences.

1. Opportunités

La mutualisation présente un grand nombre d’opportunité pour un pays tel que la RDC. Les principaux avantages pouvant en résulter sont notamment : l’accélération de la diversification de l’économie par la création des chaines de valeur intégrées; l’optimisation des avantages comparatifs; l’amélioration de l’accès aux marchés régionaux; le partage de connaissances et des technologies; la réduction des risques et le renforcement de la stabilité économique.

a) Diversification économique et création de chaînes de valeur. La RDC, en mutualisant ses investissements avec d’autres nations africaines, peut diversifier son économie au-delà du secteur minier. En collaborant avec des pays spécialisés dans l’industrie manufacturière, par exemple, la RDC peut créer des chaînes de valeur intégrées. Cette diversification est cruciale pour réduire la dépendance aux fluctuations des prix des matières premières, offrant ainsi une stabilité économique à long terme.

b) Optimisation des avantages comparatifs. En identifiant et capitalisant sur ses avantages comparatifs, la RDC peut tirer profit de ses ressources naturelles exceptionnelles. La spécialisation dans la production de matières premières, combinée à une collaboration avec des partenaires régionaux spécialisés dans la transformation, permet à la RDC d’optimiser son potentiel économique. Par exemple, en exploitant sa position de premier producteur mondial de cobalt, la RDC peut contribuer à la fabrication de batteries pour le secteur en plein essor des véhicules électriques.

c) Accès accru aux marchés régionaux. La mutualisation des investissements favorise l’ouverture des frontières économiques, offrant à la RDC un accès élargi aux marchés régionaux au sein de la ZLECAf. Ce nouveau cadre économique élimine les barrières tarifaires et non tarifaires, facilitant ainsi les échanges commerciaux. Pour la RDC, cela signifie une expansion des débouchés pour ses produits et services sur le continent, contribuant à stimuler la croissance des exportations.

d) Partage des connaissances et des technologies. La collaboration au sein de la ZLECAf permet à la RDC de bénéficier du partage des connaissances et des technologies. Les échanges d’expertise entre les nations membres favorisent l’innovation et la montée en compétence. Dans le contexte de la RDC, cela pourrait se traduire par des transferts de technologie dans le secteur minier, l’amélioration des pratiques agricoles et le renforcement des capacités industrielles, contribuant ainsi à une croissance économique plus durable et diversifiée.

e) Réduction des risques et renforcement de la stabilité économique. La mutualisation des investissements crée une interdépendance économique entre les pays participants, réduisant ainsi les risques liés aux chocs économiques nationaux. Pour la RDC, cela peut se traduire par une plus grande résilience face aux fluctuations des prix des matières premières. Une économie diversifiée et intégrée dans une zone de libre-échange offre une stabilité accrue, attirant davantage d’investissements étrangers et favorisant la croissance durable.

2. Défis

Bien que la mutualisation des investissements pourrait être vectrice des nombreuses opportunités pour la RDC, il faut relever l’existence des goulots d’étranglement dont la suppression constitue un réel défi pour le Gouvernement. Ces défis, principalement d’ordre structurel, pourraient entraver la réalisation pleine et efficace de ces opportunités.

Parmi les défis majeurs, on peut mentionner : la précarité des infrastructures de communication; la nécessité d’une gouvernance de qualité pour une stabilité politique; l’opacité dans la gestion des ressources naturelles; les capacités institutionnelles faibles; l’absence de l’inclusion sociale pour une diffusion plus large des retombées positives de l’action publique; le retard technologique.

a) Infrastructures et Connectivité : Les déficiences en matière d’infrastructures, notamment les routes, les ports et les réseaux de communication, constituent un défi majeur pour la RDC. Pour que la mutualisation des investissements soit pleinement efficace, il est crucial de disposer d’infrastructures de qualité permettant le transport fluide des marchandises et la connectivité entre les différents pays membres de la ZLECAf. La modernisation de ces infrastructures demeure un enjeu prioritaire pour garantir la facilitation des échanges.

b) Gouvernance et Stabilité Politique : La RDC a connu des périodes d’instabilité politique, ce qui peut créer un environnement d’investissement incertain. Une gouvernance stable et transparente est essentielle pour attirer les investissements étrangers et instaurer la confiance nécessaire à la collaboration économique au sein de la ZLECAf. La garantie de la sécurité juridique et la prévisibilité des politiques économiques sont des éléments clés pour surmonter ce défi.

c) Défis liés aux ressources naturelles : Bien que le secteur minier soit une source de richesse pour la RDC, il est également confronté à des défis, notamment la gestion durable des ressources naturelles, la transparence dans les contrats miniers, et la réduction des impacts environnementaux. Pour maximiser les avantages de la mutualisation, il est nécessaire de relever ces défis afin d’assurer une exploitation minière responsable et socialement bénéfique.

d) Capacité Institutionnelle et Réglementaire : La RDC doit renforcer ses capacités institutionnelles pour mettre en œuvre et réguler efficacement les accords de mutualisation des investissements. Cela comprend la mise en place de réglementations claires, la formation de personnel qualifié et le renforcement des organes de contrôle.

Une coordination efficace entre les différents niveaux d’administration est également cruciale pour assurer la cohérence des politiques et des actions.

e) Inclusion Sociale et Répartition Équitable des Bénéfices : La mutualisation des investissements doit bénéficier à l’ensemble de la population congolaise. Le défi réside dans la garantie d’une répartition équitable des bénéfices économiques, en particulier dans un pays aux disparités socio-économiques marquées. Des politiques inclusives, la promotion des petites et moyennes entreprises, ainsi que des mécanismes de protection sociale sont nécessaires pour garantir que tous les segments de la société participent aux fruits de la croissance économique.

f) Adaptation aux Changements Technologiques : La RDC doit également relever le défi de l’adaptation aux changements technologiques, en particulier dans le contexte d’une économie mondiale en mutation. Cela nécessite des investissements dans la formation et le développement des compétences, ainsi que l’adoption de technologies de pointe pour rester compétitif sur le marché international.

3. Les préalables

La suppression des goulots d’étranglement est un préalable essentiel à la réussite de la mutualisation. 

Le pays doit inlassablement travailler sur des mécanismes permettant d’aboutir à un cadre propice aux investissements mutualisés. Partant donc des principaux défis relevés ci-haut, les actions préalables du gouvernement devraient aller dans le sens à : 

i. Favoriser une intégration physique du pays par la construction des infrastructures permettant d’améliorer la connectivité physique du pays aux autres Etats parties en vue de faciliter les échanges commerciaux et la mobilité des capitaux et des personnes ; 

ii. Garantir la stabilité des engagements publics : il faut que les projets et programmes dans lesquels le gouvernement s’est engagé soient moins dépendants des changements politiques qui peuvent intervenir dans le pays. L’annulation ou la révision systématique des contrats signés avec des partenaires étrangers pour des motifs pas clairs nourrit dans le chef de ces derniers, un sentiment d’insécurité juridique et un risque financier important; 

iii. Assurer la transparence dans la gestion des ressources naturelles suppose le devoir de publicité des contrats publics dans le secteur minier ou agricole. Mais, également la nécessité de ne pas s’écarter des orientations stratégiques définies en matière notamment de respect des engagements environnementaux et sociétaux; 

iv. Renforcer en ressources diverses (matériels, humaines et financières) les acteurs œuvrant dans la promotion, l’encadrement et le contrôle des investissements productifs; 

v. Veiller à ce que les canaux de redistribution des bénéfices soient totalement opérationnels ; 

vi. Moderniser l’administration publique et promouvoir des solutions numériques.

Au-delà de ces préalables, il est impérieux pour le gouvernement de : encourager et Renforcer les chaînes de valeur dans les filières porteuses ; adapter les stratégies nationales d’industrialisation à la ZLECAf ; favoriser la production agricole à plus forte valeur ajoutée pour réduire la dépendance aux importations ; généraliser les systèmes de paiement régionaux intégrés ; harmoniser et renforcer les systèmes de normes de qualité ; adopter une politique fiscale souple pour encourager et inciter la production interne; promouvoir les secteurs ciblés et les produits «made in DRC ».

III. Conclusion

Les prévisions faites par  la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), révèlent que la ZLECAf devrait stimuler le commerce intra-africain d’environ, réduire le déficit commercial, favoriser la croissance industrielle et accroître la prospérité sur le continent. La ZLECAf est de ce point de vue, l’opportunité qui vient bouleverser la donne dans le processus d’industrialisation du continent, plus de quarante ans après la première décennie du développement industriel de ce dernier.

Il ne fait cependant aucun doute qu’un effort coordonné de mutualisation  des investissements contribuera à une mise en œuvre réussie de la ZLECAf. Ce travail de mutualisation requiert des  préalables des Etats-parties, parmi lesquelles figure la RDC, notre grand et riche pays. Il s’agit notamment d’un renforcement des capacités institutionnelles pour mettre en œuvre et réguler efficacement les accords de mutualisation des investissements. Cela comprend la mise en place de réglementations claires, la formation de personnel qualifié et le renforcement des organes de contrôle. Aussi, combler les déficiences en matière d’infrastructures, telles que les ports et les réseaux de communication, constituant à ce jour, un défi majeur pour le pays. En effet, disposer d’infrastructures de qualité permet le transport fluide des marchandises et la connectivité d’une part des zones à l’intérieur du pays et d’autre part, entre le pays et les autres Etats-membres.

Cet article sur la mutualisation des investissements productifs entre la RDC et les autres Etats de la ZLECAf, met un accent particulier sur la collaboration étroite entre pays, dans le but d’optimiser l’utilisation de ressources et compétences respectives, afin de stimuler la croissance économique. Cela implique la mise en commun des ressources financières, technologiques et humaines en vue de créer des synergies capables de dépasser les frontières nationales.

Anthony Nkinzo Kamole

Directeur général de l’ANAPI