Achats de pétrole : la Chine et l’Arabie Saoudite veulent remplacer le roi dollar par le yuan

Pékin et Riyad travaillent sur des contrats pétroliers libellés en devise chinoise pour s’émanciper de «l’exorbitant privilège» du dollar. Les sanctions économiques imposées à la Russie accélèrent le mouvement chez les économies émergentes. Explications.

 «La guerre pourrait modifier fondamentalement l’ordre économique et géopolitique mondial, si le commerce de l’énergie se modifie, si les chaînes d’approvisionnement se reconfigurent, si les réseaux de paiement se fragmentent et si les pays repensent leurs réserves de devises», avertissait récemment le Fonds monétaire international (FMI). Il ne croyait pas si bien dire.

Selon des informations du Wall Street Journal, la Chine et l’Arabie saoudite étudient la possibilité de payer en yuans l’achat du brut saoudien.

L’enjeu est loin d’être marginal et pourrait précipiter le mouvement. Quelque 25% des importations chinoises de pétrole sur un total de quelque 10,5 millions de barils par jour (mbj), selon le dernier rapport mensuel de l’Opep, sont fournies par l’Arabie Saoudite, le reste étant principalement livré par la Russie, l’Irak et l’Angola. Par ailleurs, le Royaume qui exporte en moyenne 6,2 millions de barils par jour (mbj) compte aussi parmi les principaux fournisseurs de brut du Japon et de l’Inde.

Ligne de fracture

Cette volonté ne date pas d’hier, mais elle prend une dimension nouvelle avec la guerre en Ukraine qui trace une ligne de fracture entre les pays occidentaux et les émergents. Car même s’ils n’approuvent pas l’invasion russe, les pays émergents rechignent à s’aligner sur la position des Etats-Unis et de l’Europe.

Depuis les sanctions imposées au Venezuela, à l’Iran et aujourd’hui à la Russie, ils cherchent à moins dépendre des Etats-Unis. Pour les Saoudiens, la défiance est même plus ancienne. Depuis que le prince héritier Mohammed ben Salmane, l’homme fort du régime, a été ostracisé par l’administration Biden qui l’accuse d’avoir été l’instigateur de l’assassinat du journaliste dissident Jamal Kagoshi, les relations entre Washington et Riyad se sont distendues. Ainsi le récent appel de Joe Biden lancé à l’Arabie Saoudite pour qu’elle augmente sa production pour faire baisser les cours du baril de brut qui avait franchi les 100 dollars est resté lettre morte.

Riyad reproche aussi aux Etats-Unis de ne pas soutenir la coalition formée avec les Emirats Arabes Unis qui est enlisée depuis 2015 dans la guerre civile au Yémen où elle combat une rébellion houthie, soutenue par l’Iran. A la fin de 2021, selon un bilan établi par l’Onu, cette guerre avait fait 377.000 morts dont 150.000 dus aux combats, les autres en raison de la famine et des maladies. Outre le coût humain, elle a un coût financier pour l’Arabie Saoudite qui se chiffre en dizaines de milliards de dollars.

Par ailleurs, le royaume saoudien se sent de moins en moins partie prenante d’un système mis en place en 1974 – après la fin des accords de Bretton Woods et le choc pétrolier – par l’administration de Richard Nixon. En échange de leur sécurité garantie par les Etats-Unis, les monarchies pétrolières du Golfe s’engageaient à libeller les transactions en dollars. Ainsi, les pays producteurs engrangeaient des réserves de change en dollars, et les pays consommateurs devaient se procurer des dollars pour acquérir du pétrole, renforçant le rôle du billet vert comme monnaie de référence. Avec leurs pétrodollars, les monarchies du Golfe achetaient des bons du Trésor américain, finançant ainsi le déficit budgétaire américain.

Les Etats-Unis visent le rang de premier producteur mondial

Or, le marché pétrolier a changé. L’Opep a intégré la Russie et d’autres pays exportateurs pour former l’Opep+ afin de mieux contrôler l’évolution des prix du baril.

Parallèlement, les Etats-Unis disputent à l’Arabie Saoudite et à la Russie le rang de premier producteur mondial de pétrole, grâce au développement du «fracking» et l’autorisation accordée par Donald Trump dès le début de sa présidence aux compagnies pétrolières pour prospecter et forer le sol américain. Conséquence, les Etats-Unis qui importaient deux mbj de brut saoudien au début des années 1990 sont passés à moins de 500.000 barils par jour en décembre 2021, selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie. Un chiffre qui devrait baisser à l’avenir, si les sanctions du Venezuela sont levées.

Même si pour le moment plus de 80% des contrats de vente de pétrole restent libellés en dollars, de plus en plus d’émergents n’hésitent plus à s’en passer, comme en témoigne l’achat par l’Inde de brut russe via une transaction roubles/roupies.

Le «privilège exorbitant» du dollar repose aussi sur l’extraterritorialité du droit américain, qui permet au département de Justice américain de poursuivre une entreprise étrangère hors des Etats-Unis au seul motif qu’elle a effectué ses opérations en dollars. Ainsi, la banque française BNP Paribas a dû s’acquitter d’une amende de neuf (9) milliards de dollars pour avoir réalisé des opérations avec des pays comme le Soudan, l’Iran ou Cuba, qui sont sous sanctions américaines.

Finalement, un des bénéficiaires de ce mouvement pourrait être l’euro, la Russie et la Chine ont d’ailleurs ces dernières années réduit leur exposition au dollar, en le remplaçant par l’euro et l’or. Si Pékin n’a jamais caché son intention de faire du yuan une monnaie de réserve, et a déjà obtenu certaines concessions en ce sens au Fonds monétaire international (FMI), il est handicapé toutefois handicapé par le fait qu’il reste sous l’influence politique de Pékin.

Visite de Xi Jinping en Arabie Saoudite

Au-delà de la question de la monnaie, les économies émergentes accélèrent les projets d’investissements communs. Le mois dernier, la Chine et la Russie ont signé un contrat pour la construction d’un gazoduc entre les deux pays. La semaine dernière, une délégation saoudienne effectuait une tournée en Asie qui s’est conclue par une moisson de contrats au Pakistan, en Inde et en Chine. Parmi les 35 accords de coopération économique signés avec Pékin, dont le montant cumulé s’élève à 28 milliards de dollars, selon l’agence de presse saoudienne SPA, figure le projet de construction d’une raffinerie et d’un complexe pétrochimique, pour un investissement de 10 milliards de dollars.

La compagnie pétrolière royale Aramco va former une joint-venture avec le conglomérat de défense chinois Norinco, qui a des activités pétrolières, pour développer un complexe de raffinage – d’une capacité de 300.000 barils par jour – et de pétrochimie dans la ville de Panjin, dans la province du Liaoning dans le nord-est du pays, proche de la frontière avec la Corée du Nord. Aramco fournira jusqu’à 70% du pétrole du complexe, qui devrait démarrer ses activités en 2024.

Signe de ce renforcement des relations des deux pays, à l’invitation du Roi, le président chinois Xi Jinping se rendra en visite officielle dans le royaume, probablement en mai, après la fin du Ramadan.

Econews avec latribune.fr